Une lente remontée de la fréquentation mais des signaux d'alerte
Comme tous les autres secteurs d’activité, le transport public paie un lourd tribut à cette crise sanitaire dont on ne connait pas – encore la fin – pour mesurer l’ampleur de ses conséquences. Il le paie d’autant plus fortement que c’est par nature un lieu concentrant une population importante sur un espace restreint. Pour autant, de ce que l’on arrive à déterminer actuellement, les transports publics ne seraient pas un lieu de transmission majeur de ce virus. En revanche, une véritable inquiétude est apparue dans la population.
Avec le confinement du printemps, le trafic s’est effondré, chutant de 90 à 95%, que ce soit pour les transports urbains et interurbains. Si des allègements d’offre ont été opérés, il n’en demeure pas moins que les frais fixes n’ont pas diminué, entrainant une explosion des déficits. Si l’Ile de France a finalement obtenu gain de cause, les autres autorités organisatrices attendent toujours la traduction du « quoi qu’il en coûte » présidentiel.
Avec la rentrée 2020, on a pu constater un net regain du trafic, sans revenir au niveau nominal : le télétravail, pour les métiers compatibles, et une évolution des choix modaux entrainent un plafonnement du trafic, autour de 80% en moyenne nationale, du moins pour les heures de pointe. En revanche, le trafic en heures creuses a fortement chuté, y compris le week-end.
Bourg en Bresse - Rue Pierre Sémard - 20 octobre 2017 - Conjoncture difficile pour les petits réseaux, a fortiori quand les conséquences de l'effondrement du trafic ne sont pas reconnues : les transports en commun sont essentiels à la vie d'une cité, quelle que soit sa taille. © transporturbain
Incontestablement, l’augmentation de l’usage du vélo explique aussi l’érosion de la fréquentation des transports publics, mais il y a aussi un retour à la voiture qui ne doit pas être occulté d’autant que le niveau de congestion des grands axes a été l’un des premiers phénomènes revenus à la normale après le déconfinement. La crise sanitaire a donc entraîné un retour à l’individualisme pour une partie de la population, encouragé par des aménagements « temporaires » y compris aux dépens des transports publics de surface.
Paris - Porte de Saint Cloud - 10 octobre 2020 - Exemple d'aménagement favorisant les vélos mais pas vraiment les usagers des autobus. Pourquoi ne pas avoir conservé l'unité de la gare des autobus en plaçant la piste cyclable entre celle-ci et la circulation automobile ? Sans compter les conditions d'attente des voyageurs plus que précaires et que la limite du mini-trottoir bitumé est invisible. © Th. Assa
Sur les longs parcours, la SNCF a constaté un été moins pire que prévu avec 85% du niveau de 2019, mais souffre depuis la rentrée de la faiblesse du trafic d’affaires et de moindres déplacements pour motif loisirs le week-end. Résultat, des allègements d’offres TGV, une activité aux risques et périls de la SNCF.
Ne pas surestimer les effets du vélo et du télétravail
Dans ces conditions, l’économie du transport public est durablement bouleversée, car les prévisions faisaient état à la fin de l’été d’un retour possible à une situation nominale dans un délai de 2 ans. Mais les incertitudes demeurent quant à l’évolution de la pandémie et les décisions politiques qui seront prises dans les prochaines semaines et les prochains mois.
L’étude réalisée récemment par Kisio pour SNCF Transilien sur l’Ile de France est assez riche d’enseignements. La généralisation de 2 jours de télétravail pour les 29% de salariés potentiellement éligibles entrainerait un écrêtement de 6 à 13% selon les axes de la charge en heure de pointe. Un bénéfice relativement modeste, qui pourrait a minima procurer un meilleur confort, mais il ne faut pas écarter un scénario optimiste avec une nouvelle vague de report modal de la voiture vers les transports publics à iso-offre et taux d’occupation constant grâce à la pérennisation de cette dose de télétravail.
Cependant, la question de fond est celle de la soutenabilité de transports publics avec un déficit accru du fait d’un décrochage du trafic et en particulier de la clientèle occasionnelle, celle qui n’est pas abonnée. Outre le fait qu’une compensation par l’Etat des conséquences du confinement est impérative à court terme, il va falloir interroger le modèle économique à moyen terme et éviter une spirale malthusienne, qui a le mérite de la simplicité mais peut prétendre au trophée de l’inefficacité. Alléger les dessertes en heures creuses ne réduira que marginalement le coût global du service structuré par les pointes, mais aura assurément un effet sur la non-attractivité du service public.
La crise environnementale n'a pas été confinée...
En outre, il ne faut pas oublier qu’au-delà de la crise sanitaro-économique, il y a aussi – surtout ? – une crise environnementale qui appelle inéluctablement à accroître le rôle des transports publics au détriment du transport individuel motorisé… et que le vélo n’est une réponse que très partielle, écrêtant tout au plus les pointes.
Marseille - Rue de la République - 14 février 2014 - Les transports publics constituent la solution la plus efficace pour réduire l'usage de la voiture en ville et structurer un urbanisme de densité durable. En coeur d'agglomération, le vélo peut tout au plus écrêter les pointes. SItuation probablement différente en périphérie, notamment pour organiser les rabattements sur les modes lourds. Rappel : la circulation des bicyclettes sur les voies des tramway est interdite ! © transporturbain
Pour affronter cet enjeu durable, il va falloir donner aux transports publics le moyen de surmonter une crise durable, en maintenant une offre soutenue malgré une moindre fréquentation. L'une des clés pour maîtriser les coûts de fonctionnement réside dans un mot qui heurte bien des oreilles : productivité. En la matière, il s'agit d'augmenter la vitesse commerciale, par des aménagements assurant - restaurant parfois - de bonnes conditions de circulation : cela concerne évidemment d'abord les réseaux de surface, autobus et trolleybus aux premières loges. Voies vraiment réservées, sites propres, priorité aux carrefours, accélération des échanges aux arrêts avec l'accès par toutes les portes, vente de titre de transport déportée aux arrêts, voire dématérialisée. Ajoutons aussi dans certains cas (et notamment à Paris et sa petite couronne), une révision des plans de circulation pensés pour les transports en commun, notamment en réassociant au maximum les itinéraires allers et retours... Voilà un vrai urbanisme tactique durable !
Au-delà, il faudra aussi s’interroger sur la valeur du service de transport public, et notamment les modalités de financement, sans exclure les voyageurs. La mise en place de la gratuité semble de peu d’effet sur le report modal depuis la voiture ou les 2 roues motorisés, mais s’invite déjà dans la pré-campagne des élections régionales du printemps prochain.
Or rien n’est vraiment réglé sur ce point : en Ile de France, le mécanisme adopté fait quand même reposer sur la Région la majorité des conséquences de la crise, et dans les autres villes, l’Etat reste sourd aux demandes des collectivités. Le « quoi qu’il en coûte » est déjà dépassé. Mais en Ile de France, le financement de l’exploitation du Grand Paris Express est toujours au point mort. L’Etat ferme les yeux devant un problème qui montera en puissance tout au long de la décennie pour atteindre 2 MM€ par an à horizon 2030…