Le trolleybus : une solution éprouvée mais un peu oubliée
Il a plus de 100 ans, il est fiable, éprouvé, économiquement maîtrisé... et pourtant, ce n'est pas forcément à lui auquel on pense en premier lorsqu'il s'agit de convertir à l'électricité un réseau urbain routier de transport en commun.
Les premiers trolleybus à deux perches ont circulé en 1901 entre Tassin et Charbonnières en continuité de la ligne 5 des tramways. Malheureusement, un accident lors de l'élagage des arbres sur la nationale 6 a entrainé l'arrêt de l'exploitation des véhicules Nithard. (cliché X)
Le trolleybus est perçu comme une solution complexe à cause des infrastructures qu'il requiert. Soit. Mais l'autobus électrique simple ou avec pile à hydrogène nécessite lui aussi des installations fixes en ligne, certes ponctuelles, mais qui ne sont pas négligeables dans la comparaison économique.
Et c'est oublier que le trolleybus peut lui aussi progresser. La preuve !
Les avantages intrinsèques de la traction électrique
Elle procure des performances supérieures à celles des moteurs thermiques sur les itinéraires difficiles à fortes pentes : en rampe de 10 %, une vitesse d'au moins 40 km/h alors que les autobus thermiques de puissance équivalente atteignent environ 30 km/h. Les autobus hybrides à peine mieux que les véhicules purent thermiques, mais avec tout de même une consommation de carburant importante en pareilles conditions puisque la plage d'utilisation des batteries est forcément limitée.
L'autre domaine de confort de la traction électrique, c'est le parcours très urbain, y compris en plaine, avec de nombreux arrêts et une faible vitesse commerciale : dans ces conditions, l'autobus thermique s'avère très énergivore avec des pics de consommation pouvant atteindre 2 litres / km et un niveau sonore élevé jusqu'à environ 75 dB.
Les accélérations sur des trolleybus modernes concilient souplesse et performance : sur une séquence de démarrage de 15 secondes, un trolleybus parcourt une distance supérieure de 30% à celle d’un autobus. Ainsi, le parc nécessaire en trolleybus serait inférieur de 5 à 7% à celui requis par un service en autobus à moteur thermique, selon les calculs opérés au début des années 2000 par le réseau de Saint Etienne. Outre l'impact sur le dimensionnement du parc, cet avantage se répercute aussi sur le personnel de conduite nécessaire à un service donné.
En mode électrique, souplesse, nervosité et confort sont donc préservées. Les conducteurs reconnaissent les avantages de la traction électrique et du trolleybus, d'autant que les outils d'aide à la conduite, notamment l'automatisation de la commande des perches, la rétrovision pour contrôler leurs manoeuvres et les désaxements dans la circulation, ou encore la télécommande des aiguillages, constituent des facteurs de simplification de la conduite par rapport aux anciennes générations. Il est cependant vrai qu'une formation spécifique reste nécessaire, mais les autobus électriques à biberonnage l'imposent également.
Lyon - Rue Neyret - 13 avril 2013 - Dans les rues étroites et escarpées de la Croix Rousse, des trolleybus à gabarit réduits circulent sur la ligne 6 du réseau de trolleybus lyonnais, où la traction électrique surclasse les véhicules à moteur thermique. © transporturbain
Le trolleybus, de la frugalité énergétique à la qualité de l'air
D'après une comparaison réalisée par l'ADEME en 2008, la production moyenne de CO² d'un trolleybus pouvait être évaluée à 4 g / voyageur-km, contre 40 pour un autobus Diesel et 60 pour une automobile. Si l'évolution des motorisations thermiques a progressé depuis, l'importance de l'écart ne remet pas encore en cause l'avantage net en faveur du trolleybus.
Le rendement énergétique du trolleybus s'élève, d'après une étude réalisée sur le réseau canadien de Vancouver, à 9,8 Mégajoules / km-véhicule contre plus de 24 pour l'autobus. La consommation d'énergie atteint en moyenne 25 kWh par place-kilomètre offerte contre 75 pour les autobus produits au début des années 2000.
Le rendement de l'alimentation par une infrastructure continue est également à prendre en compte : c'est le meilleur moyen de limiter les pertes entre la production et la consommation... sachant que dans une certaine mesure, les véhicules peuvent alimenter le réseau par la récupération de l'énergie au freinage, qui peut aussi être stockée dans des batteries (de capacité moyenne) afin de lisser la sollicitation des installations fixes au débarrage.
La forte réduction des émissions de gaz nocifs pour la santé publique fait l’objet d’une étude de valorisation socio-économique par un groupe d’experts anglais (http://www.tbus.org.uk/index.htm) : elle doit cependant être croisée avec une approche sur le report modal généré par l’amélioration de la performance et de la capacité des réseaux de transports publics, pour pouvoir confirmer les conséquences économiques par une diminution des problèmes respiratoires des populations citadines, en particulier chez les enfants et les seniors.
Evidemment, il faut aussi prendre en compte la méthode de production de l'électricité. Les énergies renouvelables prennent évidemment l'ascendant et on débattra probablement sans fin sur les qualités et défauts de la production nucléaire...
Zurich - Forchstrasse - 24 septembre 2008 - A l'opposé du précédent véhicule, le Swisstrolley en version 24 m est aujourd'hui le trolleybus le plus capacitaire en Europe avec 160 places. Il assure un service parfaitement complémentaire du tramway. © transporturbain
Un véhicule fiable et durable
La durée de vie moyenne d’un trolleybus est de l’ordre de 25 ans, soit le double de celle d’un autobus. La révision générale à mi-vie, d’un coût estimé entre 10 et 15 % d’un véhicule neuf selon la consistance du programme, permet de maintenir un bon niveau de service et peut être accompagné d’une rénovation des aménagements intérieurs de coût modéré. La rénovation d’un matériel procure un gain perçu par les voyageurs évalué à 10 ans : le véhicule rénové est assimilé à un véhicule neuf par le grand public.
Salzburg - Griesgasse - 15 mai 2015 - Deux illustrations sur un seul cliché : d'abord la longévite des trolleybus avec ce NGT204 datant du milieu des années 1990 et encore en excellent état après deux décennies de service. Ensuite, la capacité de désaxement au droit de travaux de voirie. © transporturbain
L'architecture électrique offre également la possibilité d'améliorer la chaîne de traction pour profiter des progrès technologiques. On se souviendra que les ER100 lyonnais ont majoritairement réutilisés les moteurs Alsthom installés en 1954 sur les VA3B2 qui les ont précédés. On pourra aussi noter la transition engagée sur le matériel suisse pour remplacer les moteurs thermiques d'autonomie des Swisstrolley par des batteries. En Roumanie, des autobus Diesel acquis d'occasion à Paris (les Agora L ex-Roissybus) ont été transformés en trolleybus.
Le trolleybus, à quel coût ?
La capacité horaire du trolleybus est équivalente à celle d'un autobus ce qui écarte toute discussion sur la possibilité de faire du trolleybus un substitut au tramway. La zone de pertinence varie donc entre 800 et 2000 places par heure et par sens. Il n'y a donc aucun avantage comparatif sur le débit de la ligne.Si le coût d'acquisition d'un trolleybus est deux fois plus élevé que celui d'un autobus, sa longévité supérieure limite dans un raisonnement à long terme la criticité de ce surcoût d'invstissement. En revanche, le surcoût d'investissement lié aux installations fixes de traction électrique est à prendre en compte mais est amortissable sur une durée bien plus longue que celle des véhicules.
Le coût d'acquisition d'un trolleybus varie entre 600 000 € et 1,2 M€ selon sa longueur (donc sa capacité), les standards d'équipement, de confort et de design. Avec une durée de vie qui peut atteindre 25 ans, l'écart sur le long terme par rapport à un autobus Diesel, vendu entre 250 000 et 500 000 € et d'une durée de vie moyenne de 15 ans, se retrouve diminué à environ 40%, contre un ratio de 1 pour 2,4 pour l'investissement brut.
L’investissement lié à l’installation d’un réseau électrique avoisine les 600 000 € du km pour un équipement classique. On notera que l’amortissement des installations fixes (redresseurs, sous-stations) est optimisé par la constitution d’un réseau de lignes : ainsi, l’expérimentation du trolleybus est difficilement justifiable pour une seule ligne. Qui plus est, dans le cas de la constitution d’un réseau connecté à des tramways, une mise en réseau des équipements électriques est possible et permet éventuellement de lisser les investissements.
Le trolleybus moderne est équipé d’un système de freinage à récupération d’énergie ce qui lui permet de réinjecter du courant dans les lignes aériennes, gage de sobriété par une forme de solidarité entre les véhicules via le réseau de bifilaires : cela compte, notamment dans les villes à profil difficile, dans le dimensionnement des installations et dans leur résilience au développement des services.
Milan - Via Piceno - 20 juin 2015 - Van Hool continue de produire des trolleybus : ici un AG330T sur les lignes de ceinture du réseau milanais. Vossloh et Kiepe ont fourni la chaîne de traction électrique de ces excellents véhicules. © transporturbain
Le renchérissement des énergies fossiles vient renforcer l'intérêt de passer à la traction électrique : la maintenance des installations fixes liées au trolleybus génère une augmentation d'environ 10% des coûts d'exploitation, mais l'amortissement de l'investissement supérieur est d'autant plus rapide que la solution de référence voit son coût augmenter. Plus le cours du pétrole augmente, plus l'intérêt du trolleybus augmente. Un baril à plus de 100 $ amortit l'investissement sur une durée de 7 ans, contre 10 ans avec un cours à 50 $.
On notera que, par rapport à l’autobus électrique, le coût complet du trolleybus (véhicules et installations électriques) devient comparable, sans la contraine des batteries et des dispositifs de recharge qui peuvent lier le réseau à un industriel...
Modernité et image du transport public
Commençons ce chapitre par un mécanisme de représentation : qui dit installations fixes dit service de transport en commun régulier. C'est vrai pour les tramways mais aussi pour les trolleybus. La présence de lignes aériennes matérialise la présence d’un système de transport public. Mis en place sur des axes stratégiques, il peut constituer pour la population un moyen d’assimilation complémentaire à une éventuelle identité visuelle spécifique.
En outre, bénéficiant des mêmes évolutions techniques que les tramways, les trolleybus peuvent être valorisés dans une communication politico-technique sur le développement de modes de transports plus respectueux de l'environnement et de la qualité de vie.
Souplesse d’exploitation : le trolleybus peut s'affranchir des lignes aériennes
La gêne visuelle d’une bifilaire est un sujet souvent sensible, souvent à l'excès, dans le cadre d’un projet de développement du trolleybus. Cependant, l’expérience des réseaux existants témoigne de la capacité à rendre le plus discret possible ces installations, par exemple sur des avenues arborées, ou encore par l’installation de filins de suspension transversaux entre les façades. Accessoirement, des bifilaires discrètes restent moins nocives que des véhicules routiers fonctionnant aux énergies fossiles...
Lyon - Avenue de Saxe - 11 novembre 2010 - Vous les voyez, vous, les lignes aériennes ? © transporturbain
S'il est dépendant de lignes aériennes d’alimentation, le trolleybus peut circuler librement : la capacité de déport par rapport à l’axe de la ligne est de l’ordre de 4 mètres ce qui lui permet d’éviter un obstacle. En cas de déviation momentanée, les trolleybus sont équipés d’une alimentation d’appoint. Cela ne date pas d'hier puisque les premiers trolleybus munis de batteries de secours ont circulé à Lyon à partir de 1950 (véhicules produits par Jacquemond). Les ER100 ont inauguré en France la solution avec moteur thermique d'appoint, certes bruyant et pas très performant, mais avec quand même une souplesse d'usage accrue et une meilleure adaptation aux aléas d'exploitation ou aux travaux de voirie. Ce même véhicule fut aussi doté de vérins pneumatiques sur les perches et d'entonnoirs sur les lignes aériennes pour faciliter les transitions (le tout développé par des ingénieurs des TCL). Sur le Cristalis, le moteur thermique est plus puissant et plus discret, mais les sollicitations trop régulières et trop longues ont rapidement posé problème.
En Suisse, les réseaux ont décidé de passer du moteur thermique d'appoint aux batteries, semblant poser moins de problèmes d'exploitation mais avec d'autres difficultés : leur durée de vie inférieure à celle du véhicule et naturellement leur bilan performances / empreinte environnementale / coût de possession. Néanmoins, la dernière génération de Swisstrolley est munie de batteries d'appoint.
Un bus électrique à biberonnage interopérable existe : c'est le trolleybus !
Face à la percée, très médiatique, de l'autobus électrique, le trolleybus avec ses deux perches et ses bifilaires n'a peut-être pas dit son dernier mot. Il a pour lui une parfaite maîtrise de la technologie et surtout d'être indépendant d'une solution brevetée par un constructeur, avec le risque sur la pérennité de celle-ci et sur son coût. On a vu ce que donnait la dépendance à Bombardier ou Lohr avec les guidages matériels du TVR et du Translohr. Evitons d'aller dans les mêmes impasses avec les différentes techniques de biberonnage des autobus électriques à recharge partielle.
Ainsi, en 2017, le constructeur suisse Hess a présenté un Swisstrolley Plus, qui conserve le principe élémentaire perches + lignes aériennes, mais en le complétant avec un système d'autonomie d'une trentaine de kilomètres et d'une longévité plus importante : si on considère que le véhicule a une durée de vie moyenne de 25 ans, celle des batteries n'excède pas aujourd'hui 7 ans dans le meilleur des cas, soit au moins 3 renouvellements par véhicule. L'objectif de ce projet est à la fois de proposer des batteries capables de vivre plus longtemps, mais aussi d'offrir une dualité d'alimentation sur des bases complètement éprouvées :
- pour les réseaux déjà équipés : limitation des besoins d'installations nouvelles lors de l'extension du réseau, possibilité de s'affranchir d'installations complexes de bifilaires au croisement de lignes (pour les connaisseurs français, s'affranchir du syndrôme Saxe-Lafayette) ;
- pour les nouveaux réseaux : limitation du budget d'investissement en installations fixes à la fois par un linéaire plus réduit et par le choix d'une technologie ouverte offrant la possibilité de choisir librement ses fournisseurs, tant en lignes aériennes qu'en véhicules.
Swisstrolley Plus : un trolleybus presque totalement classique, si ce n'est sa capacité à circuler indépendamment du réseau électrique sur 30 km sans avoir besoin de ses fils nourriciers. (cliché EPFZ)
Le suisse a une longueur d'avance sur d'autres constructeurs : en 2017, au salon Busworld, Van Hool a présenté un Exquicity de 24 m lui aussi doté d'une capacité d'autonomie sur batteries tandis qu'Iveco Bus confirmait un partenariat existant avec Skoda, focalisé sur le marché de l'Europe centrale, pour développer un trolleybus aux principes similaires sur la base de l'Urbanway (pour la version classique) et du Crealis (pour la version haut de gamme).
Après l'échec du Cristalis, Iveco Bus s'est enfin décidé à miser sur la plateforme de l'autobus thermique Urbanway, successeur du Citélis et de l'Agora, qu'il commercialise déjà en Europe centrale avec Skoda pour la partie électrique, qui constitue une réussite commerciale et technique. Un peu plus de simplicité mais peut-être une base solide pour relancer le trolleybus en France : une première commande a été engrangée à Limoges. (document Iveco Bus).
Sur le plan technique, l'intégration de batteries dans un trolleybus est une opération simple En l'état actuel des recherches, pour s'affranchir des moteurs thermiques d'autonomie, il n'existe guère d'autre alternative que la batterie, même si on connait ses limites économiques, techniques et environnementales. La quête de l'asbolu en matière environnementale est probablement vaine, et il faut chercher le moins mauvais des compromis.
Le trolleybus à recharge dynamique (ou In Motion Charging, IMC) constitue donc une évolution d'un mode de transport connu depuis plus d'un siècle, parfaitement éprouvé techniquement et économiquement. Les batteries lui offrent une autonomie plus propre qu'avec un moteur thermique, plus fiable aussi, et compatible avec des parcours hors bifilaires plus longs (jusqu'à 30 km), mais sur le plan économique, il ne faudra pas perdre de vue que les batteries ont une durée de vie de l'ordre du tiers de celle du véhicule (8 ans contre 25). Assurément, les trolleybus IMC peuvent être le moyen d'électrifier des lignes qui circulent sur des parcours déjà en partie dotés de bifilaires, donc d'intensifier l'usage des installations fixes et de mixer les solutions pour les extensions du réseau. Les batteries peuvent aussi être le moyen d'éviter des complexes de bifilaires qui attirent les amateurs mais qui peuvent objectivement être un obstacle pour des électrifications ex-nihilo.
En 2018, Limoges, Saint Etienne et Lyon ont successivement annoncé des commandes de trolleybus IMC, et des réflexions ont lieu dans plusieurs villes françaises. Dans les pays européens pratiquant le trolleybus, les renouvellements et les développements amènent de plus en plus fréquemment à commander de tels véhicules. Hess avec le Swisstrolley et Solaris avec le Trollino ont un temps d'avance qu'Iveco Bus avec le Crealis compte rattraper pour placer son produit sur le marché français : il a réussi à Limoges mais Saint Etienne a opté pour le Trollino. Lyon et sa commande de 69 véhicules annoncée en 2018 va amplifier le mouvement.
Solaris et son Trollino pourrait profiter de son expérience acquise en Europe centrale : engrangeant une première commande à Saint Etienne, le constructeur pourra ainsi bénéficier un premier terrain d'application en France pour essayer de convaincre d'autres agglomérations. (document Solaris)
Bref, face au foisonnement de solutions pour l'autobus électrique, le trolleybus a probablement une carte importante à jouer pour éviter de se perdre dans des solutions sans infrastructures continues, certes, mais générant des dépendances avec les constructeurs qui se paient au prix fort. Comme les ressources publiques sont plutôt limitées, il serait donc de bon ton d'éviter leur dispersion...