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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Tramways surbaissés : la panacée ?

Ils sont arrivés voici près de 30 ans. Si on met de côté l’atypique matériel lillois conçu par Breda, dont les espaces au-dessus des bogies sont occupés par les équipements techniques, le premier tramway à plancher bas intégral est l’Eurotram, circulant à Strasbourg, à Milan et à Porto. Depuis, tous les industriels s’y sont mis et cette configuration s’est très largement imposée.

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Porto - Viaduc Dom-Luis - 28 mai 2014 - L'Eurotram a ouvert la voie à l'amélioration de l'accessibilité des transports en commun et plus largement à la commodité de leur usage pour le plus grand nombre. Les rames circulant à Porto sont les dernières de cette famille de matériel, surclassée par les plateformes plutôt standardisées des grands industriels européens. © transporturbain

Une contribution majeure à l’accessibilité des transports publics

Il est évident que l’accès de plain-pied depuis le quai procure une commodité très appréciable et rend le service accessible aux voyageurs handicapés. Sur les réseaux anciens, où l’arrêt en pleine chaussée existe encore, cette configuration a réduit à une seule marche la lacune verticale, pouvant être compensée par des aménagements de voirie évitant la reconstruction des voies et des modifications parfois délicates des conditions de circulation générale.

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Grenoble - Rue Félix Poulat - 28 décembre 2016 - Le TFS incarne à lui tout seul le retour du tramway en France et, dans sa deuxième version ici illustrée, le premier matériel moderne aux accès à hauteur des quais. Revers de la médaille : la distribution des portes n'est pas idéale puisqu'il manque un accès aux extrémités, comme sur la version nantaise. En revanche, ce matériel a procuré d'excellentes qualités de roulement et d'insertion en courbe. © transporturbain

Cette configuration concourt également à l’accélération des montées et descentes et donc à la vitesse commerciale du service. Le gain est estimé à environ 30 % par rapport aux configurations anciennes avec au moins 2 voire 3 marches pour accéder à l’intérieur des rames. C’est loin d’être négligeable.

En quelque sorte, le matériel à plancher bas contribue à estomper la frontière entre la ville et le système de transport en commun.

Diamètre des roues, suspensions et implantation des sièges

L’abaissement du plancher impose des roues de diamètre réduit et un choix assez tranché sur la conception des bogies, en particulier de la suspension. La différence se ressent principalement sur les appareils de voie et dans les courbes, quel que soit leur rayon. Autre conséquence, la présence de coffres à l'intérieur du volume utilisé, déterminant en grande partie la configuration des places assises.

Plusieurs constructeurs ont fait le choix de simplifier la suspension, ce qui se ressent même sur les réseaux modernes. A l’inverse, les matériels avec double étage de suspension (cas du Cityrunner) voient leur capacité assise réduite compte tenu de l’impossibilité d’implanter 4 sièges de front (ce que permet le Citadis et son bogie Arpège moins bien suspendu).

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Intérieur classique d'un Citadis 302, ici sur le réseau du Mans. Les coffres sous lesquels sont situés les bogies Arpège sont surmontés par des sièges aménagés en 2+2, procurant à cette plateforme un avantage sur le nombre de places assises par rapport à la plupart de ses concurrents. En revanche, la combinaison d'une porte simple aux extrémités et d'un couloir exigu ralentit les entrées et sorties des voyageurs. © transporturbain

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Bruxelles - Place Poelart - 1er mai 2014 - Rebaptisée Flexity Outlook type C, le Cityrunner développé par Bombardier jouit d'une excellente qualité de roulement. L'insertion en courbe est contrainte par la faible rotation des bogies, qui n'est cependant pas totalement inexistante. © transporturbain

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A bord d'un Cityrunner marseillais : on voit nettement au premier plan la réduction de l'espace disponible au droit des bogies moteurs du fait de leur conception plus ferroviaire qui procure à ce type de rame un confort de roulement de bon niveau. Le choix se fait donc entre capacité assise, qualités de roulement et commodité de circulation dans la rame. © transporturbain

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Bâle - Barfusserplatz - 30 mai 2009 - Situation assez voisine sur le Combino de Siemens, dont il faut cependant souligner, même en voie métrique comme ici sur le réseau du BVB, l'excellent comportement dynamique et un niveau sonore limité. © transporturbain

L’inscription en courbe : un frein à la vitesse commerciale

Sur les matériels à plancher bas intégral, les organes de roulement sont souvent constitués de bogies complexes à essieux coudés, voire de faux bogies reliant des roues indépendantes, dont la rotation est très faible sinon nulle.

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Reims - Boulevard des Belges - 17 avril 2011 - Les courbes à angle serré sont fréquentes sur les réseaux, compte tenu des choix de tracé et de l'organisation préexistante de la voirie. Eviter de trop casser la vitesse est essentiel pour optimiser l'exploitation. Mais avec des bogies fixes, outre la vitesse réduite à 15 ou 20 km/h, l'impact sur l'usure du rail est très perceptible. © transporturbain

De ce fait, la vitesse en courbe est sensiblement réduite, pour limiter les efforts sur la roue et sur le rail (effet d’usure ondulatoire) et les crissements, surtout que les tracés peuvent fréquemment aller aux limites de giration du matériel. Ce qui, sur des lignes sinueuses, peut altérer la vitesse commerciale. La position des moteurs joue à la marge sur les qualités d’inscription des rames : soit sur un même côté pour chaque bogie, soit en quinconces sur chaque organe.

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Besançon - Pont Battant - 13 août 2017 - La conception du bogie de l'Urbos de CAF a essayé d'améliorer l'insertion en courbe mais le résultat reste assez comparable au Citadis d'Alstom. © transporturbain

Comportement en vitesse

Les rames à plancher bas intégral sont composées de caisses courtes, généralement 5 pour une rame de 32 m, avec donc 4 articulations. Plus la vitesse augmente, plus la rame produit un effet de lacet : c’est particulièrement sensible sur les sections aptes à 70 km/h avec les Citadis à Paris sur T2, à Lyon sur T3, à Blanquefort sur la ligne C de Bordeaux et à Valenciennes sur la ligne T1. C’est moins le cas avec des matériels à suspension plus travaillé dans des configurations comparables.

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Meyzieu - 20 décembre 2020 - A l'opposé du spectre, les tramways modernes multi-articulés ne sont pas forcément très à l'aise sur des parcours certes rectilignes mais sur lesquels ils doivent circuler à vive allure, ici à 70 km/h sur la ligne T3 du réseau lyonnais. © transporturbain

Plancher bas intégral : une obligation par principe ?

Cette architecture peut apparaître saugrenue quand les rames n’ont pas de portes en extrémité, derrière les postes de conduite. L’accessibilité n’entre alors pas en ligne de compte, d’autant que la largeur de couloir est inférieure – même sur une rame au gabarit 2,65 m) à celle d’un fauteuil roulant.

C’est par exemple le cas des trams-trains Dualis, dont le bogie Ixège doit composer avec cette contrainte, avec à la clé un comportement agressif sur voie ferrée classique (petites roues + peu de suspension + peu de rotation), et n’aime pas les courbes urbaines (voir l’exemple de T4 et de T13 en Ile-de-France).

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Clichy-sous-Bois - Rue de l'Avenir - 2 février 2020 - Avec un bogie compatible avec la circulation sur le réseau ferroviaire, on aurait pu attendre du tram-train Dualis une bonne qualité de roulement et une meilleure aptitude en courbe que son cousin Citadis. Hélas... non seulement cette rame vire à 15 km/h mais en plus, elle ne brille pas par sa discrétion ! © transporturbain

Plancher bas partiel : une solution dépassée ?

Abaisser la hauteur du plancher des tramways n’est pas une nouveauté : c’est un objectif recherché de très longue date, apparu au début du 20ème siècle à New-York avec les motrices Heydley-Doyle à la plateforme centrale accessible par une seule marche depuis la rue. L’amélioration des conditions d’accès aux tramways a toujours été prise en considération pour le développement de nouvelles générations de matériel.

En France, le TFS de deuxième génération (Grenoble, Rouen, Paris T1), premier matériel européen moderne à plancher surbaissé, a procuré un accès direct aux deux tiers de la rame, mais l’absence de portes d’extrémité, même avec des marches, reste un handicap, qui s’estompe progressivement avec le retrait du service de ce matériel.

En revanche, la solution mise en œuvre par Alstom sur les premiers Citadis type 301 pour Montpellier et Orléans (ainsi que pour Dublin), est intéressante : toutes les portes sont accessibles de plain-pied et seul l’espace au-dessus des bogies moteurs extrêmes est surélevé d’une seule marche. Une disposition qu’on retrouve sur de nombreux tramways en Europe, avec ou sans porte d’extrémité.

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Montpellier - Avenue du Pirée - 18 mars 2011 - Certes, cette architecture impose un gabarit dynamique un peu plus généreux du fait de la longueur des caisses extrêmes, mais la solution mise en oeuvre par Alstom sur les premiers Citadis fait de ces rames assurément les plus efficaces sur l'ensemble des critères de ce dossier, au prix d'une marche au-dessus des bogies moteurs extrêmes. © transporturbain

Le résultat est assez net : les bogies ayant plus de liberté et une vraie suspension à 2 étages, le confort de roulement est encore meilleur, généralement plus silencieux, et la vitesse d’inscription en courbe gagne entre 10 et 15 km/h par rapport à un matériel à plancher bas intégral. Sur certaines lignes au tracé sinueux (par exemple T1 à Lyon), l’intérêt serait certainement assez perceptible, probablement de 2 à 3 minutes sur une course complète. A Montpellier, l’engagement de rames type 402 à plancher bas intégral en complément de rames 401 montre que les premières ont du mal à tenir l’horaire.

En revanche, l’arbitrage entre plancher bas partiel et plancher bas intégral se répercute aussi dans la conception même de la rame : les caisses sont plus longues dans la première configuration, embarquant un gabarit dynamique un peu plus généreux notamment dans les courbes par les effets de corne et de ventre. Les rames à plancher bas intégral ont des caisses plus courtes, limitant ces effets.

Un compromis est-il possible ?

Parmi les autres constructeurs européens, Stadler, avec son Tango, avait fait le choix d'un plancher haut au-dessus des bogies moteurs, mais revient à une disposition à plancher bas intégral avec le Tramlink. Chez Bombardier, avant la fusion avec Alstom, la deuxième version du Flexity avait perdu en aisance en courbes en adoptant une conception voisine du Citadis. Il faudra juger sur pièces l'Avenio de Siemens (dont on avoue ne l'avoir jamais essayé encore).

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Bâle - Dreirosenbrücke - 2 octobre 2014 - Le Tango de Stadler est un matériel à plancher bas partiel. Les bogies moteurs imposent des marches à l'intérieur de la rame : la configuration au centre de la rame donne l'impression de deux demi-rames accouplées, ne facilitant pas la circulation des voyageurs dans la rame. La rotation du bogie est limitée, ne serait-ce que par leurs caches, solidaires de la caisse et non des organes masqués. © A. Knoerr

En revanche, il est intéressant d'intégrer à ce passage en revue les matériels d'Europe centrale conçu pour des réseaux de conception ancienne qui ne sont pas avares en rayons serrés : citons simplement pour exemple les excellentes rames ForCity Alfa de Skoda (série 15T) circulant à Prague. Plus proches de la France, les séries récentes de NGT8 et NGT12 produites par Bombardier pour Dresde, conciliant toutes deux une grande facilité d’accès et une conception de la partie ferroviaire préservant la voie, le confort de roulement et le comportement en courbe.

Les premières paraissent objectivement une référence en la matière, sans aucune marche à bord puisque les bogies extrêmes sont situés sous les postes de conduite. En revanche, leur conception impose des caisses de longueur intermédiaire, ce qui influe sur le gabarit dynamique. Les secondes, sont quasiment équivalentes, mais avec une marche au-dessus des bogies moteurs.

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Prague - Lidická - 28 mai 2019 - Plancher bas intégral, insertion en courbe et qualité de roulement au sommet : les ForCity Alfa de Škoda cochent toutes les cases, à condition d'admettre un gabarit dynamique un peu plus généreux du fait de la longueur accrue des caisses. Aucune difficulté pour une 15T de s'insérer à 25 km/h sur ce complexe de voies à la courbe plutôt serrée ! © transporturbain

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Dresde - Antonstrasse - 18 septembre 2022 - Les qualités de roulement des NGT12DD de Dresde sont remarquables, tant sur les appareils de voie que dans les courbes, le tout en silence, malgré la liberté encadrée des bogies. Ces rames reposent sur l'architecture Flexity Classic de Bombardier. © transporturbain

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Brno - Podsrtranska - 13 novembre 2022 - Les nouvelles rames 45T du réseau de Brno, construites par Skoda, reposent sur 4 bogies pour 3 caisses, disposant d'une grande liberté de giration tout en offrant un plancher sans emmarchement intérieur. © J. Petras

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Brno - Údolní - 24 avril 2023 –  Sur ce parcours de faubourg, le matériel doit être à l'aise en courbe et en rampe. Les Pragroimex EVO2 semblent efficaces dans cette configuration afin de proposer un service le plus rapide possible. © Th. Assa

Après quasiment 25 ans de domination du Citadis sur le marché français, dans sa version à plancher bas intégral, il serait temps que les réseaux élargissent leurs réflexions sur l'interface entre le matériel roulant, les caractéristiques du réseau et l'optimisation de l'exploitation des lignes. Le point critique sera le niveau de compatibilité du gabarit de matériels plus à l'aise en courbe, donc plus performants, avec celui pris en référence pour la construction des lignes, qui s'est érigé comme tramway français standard de troisième génération, avec ces évidentes qualités mais aussi ces défauts structurels.

Alstom semble en capacité de faire évoluer ses produits : la version Citadis SX, mise en service à Francfort et attendue à Cologne, a non seulement su tenir compte des attentes classiques de gabarit (notamment pour le KVB avec une unité simple de 60 m qui surclassera Combino et Urbos de Budapest) et de concilier plancher bas intégral et une meilleure inscription en courbe. Alors, à quand en France ?

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