L'Eurotram : un tramway européen rapidement contrarié
Strasbourg - Parlement Européen - 4 juin 2010 - La rame 1022 circulant sur la ligne E du réseau strasbourgeois, au pied du Parlement Européen, dans la première ville ayant accueilli l'Eurotram. © ortferroviaire
Le retour du tramway en France a donné naissance au TFS dans sa version nantaise, à plancher haut, puis celle retenue à Grenoble, Paris (T1 et T2) et Rouen, à plancher bas partiel.
En 1989, le choix du tramway contre le VAL à Strasbourg constituait un des enjeux forts des élections municipales. Le lancement du projet de tramway a été intégré dans le processus d’amélioration de l’accessibilité des transports mais également de nombreux établissements publics. En outre, la restriction importante de la circulation automobile dans le centre-ville donnait l’occasion d’une réappropriation de l’espace public par les piétons avec la recherche d’une fluidité maximale dans l’usage des transports en commun.
Le premier tramway à plancher bas intégral en France
Aussi, le projet de tramway de Strasbourg souhaitait expressément un matériel à plancher bas intégral, ce qui écartait d’office le TFS. Qui plus est, les prévisions de trafic orientaient les études vers un matériel doté de portes mieux réparties que sur le matériel Alsthom.
Strasbourg souhaitait aussi personnaliser – une première – l’esthétique de son tramway. L’appel d’offres européen lancé fut remporté en 1991 par ABB avec son projet Eurotram, répondant à ces critères. La première commande portait sur 26 rames de 33 m. Rachetée par ADTranz, seules les 10 premières rames furent estampillées ABB. Les 10 rames de 33 m et 17 rames de 43 m livrées pour les lignes B et C en 2000 – les premiers tramways de grande longueur en France – sont elles aussi estampillées ADTranz, avant le rachat de cette dernière par Bombardier.
Strasbourg - Rue de la Première Armée - 1er septembre 2007 - La rame 1060 de type long, sur la ligne A. L'esthétique particulière de ce matériel lui pemet d'avoir une insertion optimale en courbe, grâce au bogie situé sous les cabines de conduite. © ortferroviaire
Avec 312 kW en version 33 m et 416 kW en version 43 m, la puissance massique des Eurotram reste faible, autour de 8,1 kW / t. Leur vitesse maximale est fixée à 60 km/h.
L’esthétique particulière de l’Eurotram repose sur une structure de rame assez différente des tramways modernes. Le souci de maîtriser le gabarit dynamique notamment en courbe a conduit à l’installation d’un bogie porteur sous la cabine de conduite, séparée du premier module voyageur par une courte articulation. Ainsi, la rame de 33 m comprend 7 caisses et la rame de 43 m. Pour la première fois, un tramway n’était plus seulement un véhicule de transport en commun mais un objet urbain.
L’Eurotram dispose de 6 ou 8 (selon la longueur de rame) larges portes de 1,20 m d’ouverture. Dotées d’un seul vantail, elles souffrent d’une ouverture lente et d’une fiabilité moyenne du fait de leur poids. A l’intérieur, les intercirculations demeurent étroites comme sur le TFS, entrainant une occupation importante des plateformes. En revanche, l’aménagement intérieur en 2+1 procure un espace bien plus vaste que dans le TFS.
Les grandes baies vitrées procurent une luminosité importante, couvrant les trois quarts des caisses. Cependant, les panneaux extérieurs présentent une faiblesse dans leur fixation à la structure des modules, accentuée par l’usure du matériel et les vibrations transmises par les bogies.
20 ans de service à Strasbourg
Après 20 ans d’exploitation, les Eurotram de Strasbourg sont aujourd’hui concernés par un programme de rénovation des espaces intérieurs, avec la suppression de quelques sièges sur les caisses d’extrémité, la remise en état de la carrosserie et l’amélioration de la cinématique des portes, qui demeure le point délicat de ce matériel. Les rames de première tranche sont concernées en priorité.
Il n’en demeure pas moins que le succès considérable du tramway de Strasbourg sollicite fortement le parc des Eurotram, surtout lors des incidents ponctuels sur la voie qui ont par deux fois conduit à retirer du service les Citadis sur certaines lignes. La tension est accentuée par une exploitation avec les prolongements mis en service en 2013 au Parc des Expositions et aux Poteries à parc constant. Une rénovation lourde serait souhaitable afin de porter leur service à 40 ans dans de bonnes conditions de fiabilité et de confort.
L’Eurotram hors de France
L’Eurotram est également présent à Milan avec 26 rames livrées en 2000 et à Porto avec 72 unités assurant le service du métro en unité simple ou double et réceptionnées entre 2001 et 2005. Depuis cette date, l’Eurotram n’a plus remporté de marché. Bombardier s’est concentré dans le domaine urbain sur le Cityrunner (devenu Flexity Outlook C) et a développé le Flexity 2.
Milan - Via Larga - 24 juin 2011 - Les Eurotram commandés par Milan n'ont pas supplanté les vénérables Peter Witt de 1929. On notera les modifications esthétiques apportées sur cette série qui se caractérise notamment par une architecture unidirectionnelle. © ortferroviaire
Porto - Pont Dom Luis - 2 mai 2012 - Comptant parmi les plus remarquables ouvrages d'art accueillant des transports en commun ferrés, le viaduc Dom Luis de Porto accueille dans sa partie haute les Eurotram qui assurent le service Metro do Porto partiellement souterrain. © A. Knoerr
Victime de la concentration industrielle
Le succès commercial de l'Eurotram a été de courte durée car dans le même temps, les mouvements de concentration dans l'industrie ferroviaire ont logiquement entrainé une recomposition des catalogues. Bombardier a ainsi préféré misé sur le Cityrunner comme produit de base pour les réseaux urbains à plancher bas intégral et une nouvelle gamme de tramways pour les longs parcours (Flexity Classic). Qui plus est, l'Eurotram s'est, certes, amélioré avec le temps, mais les rames de Strasbourg et de Milan souffrent d'une fatigue assez évidente à mi-carrière alors que les rames de Porto, il est vrai les plus récentes, sont de constitution plus robuste. Mais trop spécifique, l'Eurotram ne pouvait être compétitif sur la majorité des réseaux européens, d'où l'arrêt de sa production.
En revanche, le succès strasbourgeois de l'Eurotram a précipité la fin de carrière commerciale du TFS et poussé Alstom à concevoir une nouvelle gamme pour répondre à la demande des agglomérations sur l'accessibilité complète des tramways, avec à la clé la naissance du Citadis.