Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Grasse : funiculaire d'hier, BHNS de demain ?

Grasse, la cité de la parfumerie, a été une ville multimodale avant l'heure : le PLM et le Sud France en matière ferroviaire, des tramways et même un funiculaire. Alors que la densité de population était bien moindre qu'aujourd'hui, disposer dans les années 1910 d'une telle palette de services était tout de même assez surprenant. On en viendrait presque à se demander si la desserte en ce début de 21ème siècle n'est pas un peu en-dessous des besoins dans un bassin de population de plus de 100 000 habitants.

Faciliter l’accès à la gare du PLM

La cité des parfumeurs bénéficia du chemin de fer dès 1871, mais la gare du PLM est situé en contrebas d’une ville très escarpée. Pendant un peu plus de 20 ans, la population s’en accommoda mais quelques revendications émergeaient pour diminuer la difficulté.

CP-gare-PLM-grasse

La gare PLM de Grasse dans un style architectural tout ce qu'il y a de plus classique pour la compagnie avec son bâtiment à 5 portes et 2 ailes. On notera la caténaire équipant 2 voies permettant de dater la carte postale de la période 1910-1914. Située en contrebas de la ville, elle inspira bien des projets pour améliorer l'accès à la cité des parfumeurs.

CP-grasse-SF

Autre chemin de fer desservant Grasse, mais celui-ci a totalement disparu : la ligne du Sud France entre Nice et Meyrargues, qui rejoignait l'unique subsistante entre Nice et Digne à hauteur de Colomars. Le tunnel qu'on aperçoit sur cette carte postale a été récupéré pour créer l'avenue de Provence sur l'ancienne emprise ferroviaire.

14 ans de tractations pour 31 ans d'exploitation

Dès 1895 émergea l’idée d’un funiculaire, concurrencé 4 ans plus tard par un projet de tramway électrique. Néanmoins, la rudesse du profil fit reculer les promoteurs du tramway au profil de simples électrobus. Le second projet, en 1903, couplait le funiculaire à une liaison par tramway vers Cannes, solution rejetée par l’Etat qui y voyait une concurrence à la ligne de tramway de Cagnes sur mer. Finalement, la Ville prit position, plutôt contre l’Etat, et confirma le projet de funiculaire, qu’elle porterait elle-même, après avoir obtenu confirmation des projets de tramway vers Grasse et vers Cannes. La concession du funiculaire fut évidemment accordée à son promoteur, M. Rouquier, le 23 juillet 1907 avec l’objectif d’une mise en service dans un délai de 2 ans.

Objectif tenu, puisque le funiculaire entrait en service le 8 novembre 1909. Long de 536 mètres et à voie métrique, il rattrapait 116 mètres de dénivelé avec une pente moyenne de 20%. Le rail avait un profil particulier, non seulement pour gérer le croisement des 2 cabines mais aussi pour supporter la mâchoire du freinage d’urgence. Le moteur de 75 chevaux entrainait le câble à la vitesse de 9 km/h. Les 2 cabines de 7,65 m de long et 2,80 m de large disposaient de 62 places.

CP-funiculaire-grasse

CP-funiculaire-grasse2

Il était donc en correspondance avec les 2 lignes de tramways desservant la cité : la ligne des Tramways des Alpes-Maritimes vers Cagnes sur Mer et celle des Tramways de la Côte d’Azur entre Cannes et Grasse, doublant la desserte du PLM. En revanche, il ne desservait pas la gare des Chemins de fer Sud France (ligne de Nice à Meyragues, rejoignant à Colomars celle de Nice à Digne).

CP-tram-grasse

Comme le réseau urbain de Nice, la ligne Grasse-Cannes a bénéficié de véhicules pour l'époque modernes, version à voie métrique des motrices L parisiennes. Elle est ici accompagnée d'une remorque ouverte, rendant le voyage plus aéré. Le personnel pose pour la présentation de ce nouveau matériel dans les années 1920, ce qui n'empêcha pas la ligne de disparaître promptement...

A son apogée, le funiculaire transporta 178 000 voyageurs, en 1928. C’est peu mais il ne proposait que 14 allers-retours par jour. Lourdement déficitaire, son arrêt coïncida avec la suppression de la desserte ferroviaire de Grasse par la toute jeune SNCF. Grasse perdait alors toute desserte ferrée, après avoir subi la suppression du tramway de Cannes en 1926 et de celui de Cagnes en 1929.

Pourtant, Grasse eut le privilège ferroviaire de disposer de 4 dessertes (PLM, SF, TCA, TAM) et d’avoir été le théâtre d’expérimentations : si le tramway de Cannes était classiquement alimenté en 600 V continu, la ligne de Cagnes avait adopté le courant monophasé 6600 V à la fréquence de 25 Hz. De son côté, le PLM avait testé entre 1910 et 1914 sur la ligne de Grasse une alimentation en 12 kV 25 Hz

L’échec prévisible d’un nouveau projet

Au début des années 2000, l’idée d’un nouveau funiculaire s’invita dans les débats municipaux, en lien avec le retour des trains sur la ligne Cannes – Grasse. Le projet prévoyait un tracé à peu près équivalent au funiculaire historique, incluait 2 stations intermédiaires. Estimé à 40 M€, il avait obtenu 4 M€ de financement de la Région et 5,5 M€ de l’Etat. Cependant, le dossier fut conduit de manière rocambolesque, pour ne pas dire dans l’amateurisme le plus complet, ce qui eut pour conséquence de cabrer à peu près toute la population, l’opposition politique, l’architecte des Bâtiments de France, les pompiers et les milieux économiques de la ville contre le projet.

Un certain retard en matière de transports publics

La desserte de Grasse reste donc l'apanage exclusif des autobus, qui doivent composer avec une topographie difficile et une trame viaire parfois complexe, faite de sens uniques générant des tracés parfois sinueux.

Le réseau Sillages dessert la Communauté d’Agglomération du pays de Grasse avec 18 lignes dont 4 principales (identifiées A-B-C-D). Cependant, avec un intervalle de 40 à 45 minutes, le service n’est pas très lisible (pas de cadencement) et ne coïncide pas avec la fréquence des dessertes ferroviaires (toutes les 30 minutes).

011017_Cjeu-de-ballon2

Grasse - Boulevard du Jeu de Ballon - 1er octobre 2017 - Eh oui, il arrive qu'il fasse gris sur la Côte d'Azur. Le réseau de bus Sillages essaie de composer avec une topographie difficile et une organisation de la voirie pas toujours compatible avec des itinéraires simples pour les transports en commun. © transporturbain

Si nous n'avons pas trouvé l'effectif précis d'autobus sur ce réseau, du moins avons-nous pu constater qu'il était assez bigarré, avec à peu près toutes les déclinaisons de longueur et de capacité entre 7 et 12 mètres. Si la configuration de l'agglomération impose le recours à des véhicules à gabarit réduit sur plusieurs lignes, l'hétérogénéité de la flotte (mini, midi, midi allongé, standard) sur un petit effectif n'est assurément pas un facteur facilitant la gestion du service.

La desserte des lignes dites de proximité est plus aléatoire et il y a manifestement matière à progresser pour organiser une offre attractive : l’exercice est difficile compte tenu de l’éparpillement de la population et de la topographie, mais la maîtrise du trafic automobile dans l'agglomération apparaît indispensable au regard des contraintes sur l’aménagement et les nuisances qu’elle génère. Le PDU du Pays de Grasse relève 380 000 déplacements journaliers dont 260 000 par les 102 000 habitants de ce territoire. La part de marché atteint 76% et celle des transports en commun seulement 4%.

Le PDU n'écarte pas l'hypothèse d'une liaison mécanique entre la gare et le centre-ville par funiculaire ou par téléphérique, et envisage la recomposition de l'offre d'autobus autour de 2 axes de BHNS autour de la gare, bénéficiant d'aménagements de voirie pour améliorer la vitesse commerciale et la régularité :

  • Gare de Grasse - Gare de Mouans-Sartoux
  • Grasse centre - gare - Peymeinade

Sur ce territoire dense où la limite entre le transport urbain et interurbain peut être floue, les lignes autrefois gérées par le Département, reprises désormais par la Région, complètent la desserte : 6 lignes rayonnent vers Cannes, Nice, Vende et Sophia-Antipolis, avec un niveau de desserte variant d'une dizaine de courses à une quarantaine. Les 2 lignes vers Cannes (via Mouans-Sartoux et Pégomas) sont évidemment en tête, cumulant 75 liaisons. Là encore, un renforcement de la complémentarité avec la desserte ferroviaire vers Cannes et le service urbain du pays de Grasse devrait pouvoir améliorer l'attractivité de ces lignes, au-delà d'une offre mieux structurée et surtout plus régulière en semaine, car les horaires sont passablement allégés le week-end, signe d'un dimensionnement encore dominé par les flux domicile-travail et scolaires.

La réduction de la place de la voiture dans le Pays de Grasse passera donc d'abord - et cela peut être mis en oeuvre rapidement - par une meilleure coordination des modes de transport, profitant de la nouvelle tarification multimodale initiée par la Région PACA, lancée en 2019, mais aussi par une maîtrise de l'urbanisme, ce qui n'est pas une mince affaire dans une région très vallonnée où l'habitat est déjà structurellement dispersé. Autour de Grasse, les agglomérations de Cannes et de Sophia-Antipolis ont déjà lancé leurs lignes de BHNS.

090916_5_fragonard_vsteine

Grasse - Boulevard Fragonard - 9 septembre 2016 - A Grasse, les moteurs sont mis à rude épreuve du fait de la topographie difficile de la ville. Ce GX137L sur la ligne 5 se hisse vers le centre-ville. A quand des véhicules électriques pour réduire les nuisances sonores ? © V. Steine

Quant à savoir si un funiculaire reviendra à Grasse... allez, disons-le, c'est assez peu probable compte tenu du passif du projet mal ficelé du début de ce siècle ! Il va donc falloir miser sur les autobus. La traction électrique serait parfaitement légitime sur ce territoire et on pourrait presque suggérer d'examiner les possibilités de trolleybus à recharge dynamique (certains vont penser que c'est une manie de transporturbain...), pouvant d'affranchir de lignes aériennes sur environ le tiers de leur parcours.

Publicité
Publicité
Publicité