La Rochelle : un laboratoire des mobilités ?
S’il est une ville qui a su se distinguer par sa capacité à innover dans le rapport entre la ville et les modes de déplacement, c’est bien La Rochelle. Pourtant, elle ne fait pas les devants de l’actualité, préférant semble-t-il une action dans la continuité. Saluons donc le caractère visionnaire de celui qui a incarné ce projet au quotidien : Michel Crépeau, ancien maire de La Rochelle de 1971 à 1999, qui fut d’ailleurs promis ministre de l'environnement de 1981 à 1983.
Retardataire avant d'être pionnière
On rappellera tout de même que la ville se dota tardivement d’un tramway, atteignant à son apogée une configuration à 4 lignes organisées autour de la place d’Armes, l’actuelle place de Verdun. Ce n’est que le 7 janvier 1899 que fut accordée la concession du réseau à l’ingénieur Louis Mékarski, immédiatement rétrocédée à la Compagnie des Tramways de Nantes, qui mettait le réseau en service le 25 août 1901. Alors que l’électrification des réseaux devenait la règle dans la plupart des villes, La Rochelle se dotait de 8 motrices à air comprimé et 4 remorques, rejointes par la suite par les 8 motrices de l’éphémère réseau d’Aix les Bains. Cependant, le tramway périclita rapidement : une ligne fut supprimée dès 1913 et le réseau disparut en 1929, complètement obsolète.
La Rochelle - Place d'Armes - Vers 1910 - A l'époque des tramways à air comprimé, cette place était déjà le centre du réseau de transports en commun. A son apogée, le réseau disposait de 16 motrices Mékarski.
La Rochelle - Quai Duperré - Vers 1905 - Eh oui, pour relier le quai Duperré à la place d'Armes, le tramway passait sous la Grosse Horloge et remontait la rue du Palais ! Aujourd'hui, une telle idée serait qualifiée de farfelue : entre une "pseudo-protection" de la pureté architecturale et les dimensions un peu plus généreuses des tramways modernes, le passage du tramway sur cet axe très fréquenté par les piétons serait un défi...
Une ville durable avant l'heure ?
Conséquence du choc pétrolier et d’une prise de conscience politique très en avance sur les autres villes, La Rochelle décida la création d’un vaste secteur piétonnier dans ses rues commerçantes dès 1970. Une mesure alors en complet décalage avec le courant dominant très favorable à la voiture : cependant, La Rochelle voyait son patrimoine architectural dégradé par la circulation automobile et la pollution. L’année suivante, elle définissait un périmètre « sauvegardé » pour préserver la richesse architecturale remarquable d’un bâti pour l’essentiel érigé 17ème siècle.
La Rochelle aurait pu en rester là. L’année suivante, elle proposait à ses habitants un service gratuit de vélos en libre-service, les « vélos jaunes » : 30 ans d’avance sur Vélov’, Vélib et autres déclinaisons liées au contrat d’affichage publicitaire avec le groupe JC Decaux. Pour inciter à l’usage du vélo, la ville engageait le premier schéma directeur des itinéraires cyclables, se fixant un objectif de 160 km d’aménagements et de 2900 places de stationnement réservées.
En 2016, on comptait plus de 220 km de voies cyclables et 1800 arceaux d’une capacité de 3600 places. Le réseau devrait encore être étendu, avec un objectif de 340 km en 2024.
La Rochelle - Quai du Gabut - 25 septembre 2015 - Plus de 40 ans de pratique du vélo en libre-service à La Rochelle : vous avez dit "pionnier" en matière de mobilité raisonnée ? © transporturbain
Côté voitures, La Rochelle lançait en 1985 le service Autoplus, mettant à disposition du public, moyennant abonnement, des véhicules pour des trajets de courte durée. Dix ans plus tard, la ville se dotait de ses premières voitures électriques. Elle décidait le renouvellement progressif du parc municipal, abandonnant les moteurs à explosion, y compris pour certains services de logistique urbaine. Le Département et l’Etat s’engageaient également dans cette voie. Et toujours en 1995, les premières voitures électriques faisaient leur apparition dans le parc Autoplus. Pour parachever cette démarche, La Rochelle lançait en 1997 la première journée En ville sans ma voiture.
Il va sans dire que dès l’adoption de la Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie en 1996, La Rochelle lança la rédaction d’un Plan de Déplacements Urbains, alors qu’elle n’en avait pas l’obligation puisque ce document n’était requis que dans les agglomérations de plus de 250 000 habitants.
Autre innovation rochelaise, le lancement en 1998 d’un service de batobus électrique traversant le port entre la tour de l’Horloge et le quartier du Gabut, doté d’un navire de 30 places, rejoint par la suite d’un second compte tenu du succès de fréquentation.
La Rochelle - 25 septembre 2015 - Le service de batobus Yelo, dit Le Passeur, relie les deux rives du port pour rejoindre notamment la faculté de lettres. Le Bus de Mer en direction des Minimes facilite l'accès à l'IUT. © transporturbain
Dans le même registre, une seconde ligne de batobus a été mise en place en 2009 entre le vieux port et le quartier des Minimes avec 2 navires d’une capacité de 75 places.
Dans le dernier PDU couvrant la période 2012-2021, l’agglomération a fixé ses objectifs :
- Réduction des gaz à effet de serre de 20%
- Baisse du trafic automobile de 10%
- Augmentation de la part du vélo dans les déplacements quotidiens de 8 à 12%
- Augmentation de la fréquentation des transports en commun de 30%
Depuis 2009, la marque unique Yelo regroupe les services urbains de la Régie des Transports en Commun Rochelais, les lignes interurbaines Ocecars, le service Proxiway et la gestion des parkings de la ville assurée par Vinci.
La longue recomposition du réseau de bus
Néanmoins, le réseau de bus a pâti d’une organisation administrative complexe aboutissant à deux exploitants (la RTCR et Ocecars) et d’une lisibilité insuffisante du service et de la tarification. La réorganisation de 2009 a amélioré la situation et relancé la réalisation d’aménagements facilitant la circulation des autobus. La suppression de la circulation automobile sur le quai Duperré, le 4 juillet 2015, constitue la dernière décision favorable à l’amélioration de la qualité de vie concrétisant un urbanisme se défaisant de la dépendance à l’automobile. La création de la première ligne de BHNS baptisée Illico a concrétisé le lancement d’une nouvelle politique sur le réseau, afin d’en améliorer l’attractivité.
La Rochelle - Place de Verdun - 24 septembre 2015 - Au coeur de la ville ancienne, jadis place d'Armes, la place de Verdun est surtout un terminal d'autobus de conception quelque peu frustre, peu avenante, peu commode, y compris pour les voyageurs. © transporturbain
La Rochelle - Quai Duperré - juin 2005 - Le quai Duperré avec la circulation automobile : de nombreux usagers sur un espace restreint, même si la place accordée aux vélos est déjà généreuse. © transporturbain
La Rochelle - Quai Duperré - 24 septembre 2015 - Dix ans plus tard, le quai est désormais réservé aux piétons, aux vélos et aux bus, mais reste toujours aussi fréquenté : moins de conflit entre terrasses et piétons, ces derniers bénéficiant du côté "port" autrefois dévolu aux cyclistes. © transporturbain
La Rochelle - Rue Chaudrier - 24 septembre 2015 - Certes la ligne Illico bénéficie d'aménagements sur une bonne partie de son parcours, mais la traversée du centre ancien est un peu acrobatique, comme l'angle des rues Chaudrier et Dupaty, dans lequel s'inscrit cet autobus articulé GX427. © transporturbain
En 2017, une restructuration du réseau d’autobus devait être mise en œuvre puisque le périmètre des transports urbains va passer de 18 à 28 communes. Cependant, l’objectif est de maintenir la contribution annuelle de l’agglomération à 26 M€.
Dans le constat, de fortes disparités sont pointées avec 3 lignes qui regroupent plus de la moitié de la fréquentation de la RTCR, qui s’établit à 9 millions de voyageurs par an.
Un tramway à La Rochelle ?
On notera enfin l’existence d’une ligne de démonstration de tramway de 1600 m dans le quartier des Minimes, conçue pour tester les nouvelles applications du produit du constructeur Alstom installé à Aytré : cette voie est reliée aux installations de l’usine, mais son usage est plus qu’épisodique. Il fut question de prolonger cette ligne jusqu’au port pour en faire un véritable service urbain mais pour l’instant, il est plutôt question de BHNS.
La Rochelle - Rue Emile Picard - 16 mars 2006 - Le site propre bus du quartier des Minimes avec sa voie d'essai de tramway dont on peut voir qu'elle n'a pas beaucoup servi même peu de temps après sa création... © transporturbain
Une première analyse des possibilités de tracé ne permet pas de définir de tracé de façon naturelle. Certes, l’axe entre Les Minimes et le quai Duperré est possible avec la desserte des universités, de la gare et du cœur de ville par la porte sud (Grosse Horloge). Au-delà, traverser ou contourner la ville ancienne semble compromis… du moins par l’ouest. Par l’est, une piste peut émerger : l’emprunt de la voie ferrée vers La Pallice, qu’il faut partager avec les besoins du port, sur laquelle le trafic a déjà quadruplé en moins de 5 ans grâce à l’opérateur fret de proximité. Avec une section urbaine entre l’hôpital et la Grosse Horloge par la rue Schweitzer et le quai Maubec, la connexion pourrait être faite avec un barreau rejoignant la gare puis l’université et le quartier des Minimes. Reste que l’usage de la voie ferrée n’est pas forcément la solution la plus probable compte tenu d’une cohabitation tram – fret peu évidente dans les normes françaises, alors que par exemple, tramways et trains de fret cohabitent sur le Cologne – Bonn.
Bruhl Vichem - 13 septembre 2013 - Pas de cohabitation possible entre un tramway et du fret ? La preuve que si ! La ligne 18 du réseau de Cologne-Bonn emprunte des infrastructures utilisées pour la desserte des nombreuses industries qui y sont branchées. En France, impossible sans passer par la case "tram-train" onéreuse et moins efficace. La "rigueur" allemande n'empêche pas le pragmatisme... © transporturbain
Par conséquent, l’hypothèse BHNS semble bel et bien la plus probable du moins si on souhaite une concrétisation relativement rapide, quitte à s’accommoder de sections aux aménagements moins significatifs quand la largeur manque.
Et le train ?
L'analyse des flux domicile-travail autour de La Rochelle montre une intéressante évolution depuis le début des années 2000 avec une intensification nette selon deux axes. Le premier est littoral, vers Rochefort : les villes d'Angoulins et de Châtellaillon constituent des centralités complémentaires d'un petit réseau de villes quasiment coalescent. La Région Poitou-Charentes avait d'ailleurs mis en oeuvre un renforcement de la desserte avec 10 allers-retours, incluant un prolongement sur l'amorce de la ligne de La Pallice jusqu'à une halte située près de la Porte Dauphine, au nord de l'enceinte fortifiée. Le second rejoint Niort, avec une densité assez élevée de flux quotidiens. Cependant, on ne compte que 4 allers-retours de TER entre Niort et La Rochelle, la desserte reposant d'abord sur 7 allers-retours de TGV Paris - La Rochelle mais évidemment sans cabotage. Autant dire que la voiture s'arroge facilement le monopole à défaut d'offre ferroviaire adaptée...