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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Les tramways de Valenciennes

Petite ville de 42 000 habitants dans une agglomération qui en compte 200 000, Valenciennes est desservie par deux lignes de tramways modernes qui irriguent un territoire urbain disparate composé de deux agglomérations (Valenciennes Métropole et Portes du Hainaut) au riche passé industriel et minier. Valenciennes est aussi connue dans l’histoire pour être la dernière ville dans la longue liste des suppressions, l’ancien réseau ayant disparu en 1966.

L’ancien réseau

Les débuts du tramway furent assez tardifs à Valenciennes puisque la première concession fut accordée en 1877 à la Société du tramway de Valenciennes à Anzin et extensions, mais sans suite. Le projet a été repris par la Société Anonyme des Tramways de Valenciennes, fondée par le baron Empain en 1880, reprenant le tracé des lignes précédemment proposées vers Anzin et Raismes, partant de la place du marché aux Herbes. Les premiers tramways circulèrent à compter du 1er janvier 1881 entre Valenciennes et Raismes puis fut prolongé dans Raismes trois mois plus tard. Ensuite, une section entre la Croix d’Anzin et Condé-sur-Escaut fut ouverte le 3 février 1882 en même temps qu’un prolongement de la ligne de Raismes à Saint-Amand-les-Eaux. L’année suivante, le réseau était constitué avec le prolongement dans le centre de Saint-Amand et à Vieux-Condé ainsi que la création d’une ligne de Valenciennes à Blanc-Misseron.

Au total, 22,5 km de tramways à voie métrique furent mis en service en trois ans. Le service était assuré par des locomotives à vapeur sans foyer des usines Tubize tractant des voitures et fourgons des usines de Nivelles. Cependant, le service se limitait à quelques allers-retours par jour.

Devenant Chemins de fer économiques du Nord dès 1884, les tramways connurent une période d’expansion avec la création des sections Blanc-Misseron – Quiévrain (1890), Condé sur Escaut – Bonsecours (1892), Condé – Hergnies (1894), Denain – Lourches (1902), le tout en traction à vapeur avec pour large partie des locomotives Blanc-Misseron produites localement.  Entre 1896 et 1897 fut également mise en service la liaison Saint-Amand - Hellemmes, rejoignant l'agglomération de Lille, sans continuité entre les réseaux cependant. Le réseau atteignait alors une longueur de 58,5 km. A partir de 1890, il fallut remplacer les voies d'origine, se révélant trop fragiles.

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La place du Marché aux Herbes, vue ici vers 1910, était le point central du réseau, avec la particularité de sa configuration en impasse comme une petite gare de chemins de fer secondaires.

L’électrification fut engagée juste avant la première guerre mondiale, et le réseau dut être en grande partie reconstruit entre 1919 et 1925, d'autant que l'armée avait converti la voie métrique en voie de 60 cm pour ses propres besoins. Le réseau bénéficia d’une commande unique de matériel roulant, avec une exploitation prévoyant à l’heure de pointe des convois formés d'une motrice et deux remorques. Ainsi, 38 motrices Ragheno furent construites par la Brugeoise-et-Nivelles en 1913-1914, d’une puissance de 60 chevaux d’abord, portée ensuite à 80, afin de pouvoir tirer 2 remorques au lieu d'une.

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Valenciennes - Pont Jacob - 1963 - Un convoi composé d'une motrice et d'une remorque vient de franchir la Schelde et le faisceau ferroviaire de la gare. Il s'apprête à desservir la gare. Les tramways de la ligne T1 passent au même endroit aujourd'hui. © J.H. Manara

Le programme de rénovation du réseau prévoyait la construction de deux lignes vers Saint-Waast (ouverte le 11 novembre 1928) et vers Marly (inaugurée le 25 décembre 1931), portant la longueur du réseau à 65 km. A cette date, le réseau transportait 14 millions de voyageurs par an dans une agglomération très industrielle, déjà très marquée par la métallurgie et la construction ferroviaire. Le matériel avait été modernisé avec la fermeture des plateformes par des portes coulissantes, l’allongement de l’empattement du truck et le remplacement de l’archet par un pantographe. Leur vitesse maximale passait ainsi de 30 à 50 km/h. Six motrices supplémentaires arrivaient en 1933. A cet effectif total de 45 motrices s’ajoutaient 50 remorques.

Le réseau survécut en grande partie à l’apparition des premiers autobus et surtout aux dommages de la seconde guerre mondiale puisqu’il comprenait encore 60 km de lignes en 1950. La ville a lourdement souffert, avec notamment la destruction de quartiers entiers et de bâtiments emblématiques autour de la place d’Armes dont l’hôtel de ville.

Si les premiers projets de rénovation, dès 1941, ont été établis en respectant la conception ancienne de la ville, le schéma retenu en 1945 se voulait moderniste avec de grands ensembles et des voiries larges propices à la circulation automobile.

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Fresnes - 26 septembre 1957 - Quoique datant de 1914, le matériel valenciennois était bien entretenu et les voies présentaient un état très satisfaisant, si bien que le service assuré était encore de bonne qualité après la seconde guerre mondiale. La motrice n°25 et sa remorque ne dépareillent pas trop entre les nombreuses Citroën et autres fourgonnettes Renault visibles sur ce cliché. © J. Bazin

De nouveaux projets furent étudiés, liés à de nouvelles voiries, notamment pour rejoindre Aulnoy-lez-Valenciennes, et ce n’est qu’en 1961 que les tramways commencèrent réellement à céder du terrain aux autobus. Le 3 juillet 1966, le tramway disparaissait à Valenciennes, suivant de peu la fin du réseau lillois, alors même que les premières interrogations sur le bien-fondé de la généralisation des autobus apparaissaient, y compris dans la presse locale. Les lignes étaient souvent implantées en accotement séparé de la chaussée hors des centres urbains, et les infrastructures demeuraient en bon état car bien tracées.

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Valenciennes - 1965 - Ambiance vicinale pour ce convoi typique du réseau, avec deux remorques emmenées par une motrice. Le tramway circule ici sur une plateforme indépendante de la circulation routière. Pouvait-on évoquer une gêne à l'automobile ? © J.H. Manara

Chronique d’un retour

Lourdement frappée par la crise de la sidérurgie et du secteur charbonnier, Valenciennes a engagé un long processus de transition économique, encore aujourd’hui inachevé. L’agglomération est encore en déficit d’attractivité, l’emploi reste un sujet de préoccupation permanent. Les efforts menés par la ville dans les années 1990, ont toutefois permis de ralentir le déclin. Valenciennes est aujourd’hui une place ferroviaire de premier plan avec à l’ouest les usines Alstom de Petite-Forêt et au nord celles de Bombardier à Crespin. Le transport ferroviaire a trouvé dans ce bassin un creuset fertile. L’automobile aussi avec l’implantation de PSA, Michelin et de Toyota.

Cependant, les choix d’urbanisme des années 1970 et 1980 avaient fait la part belle à l’automobile, encourageant le déclin de l’activité commerciale du cœur de ville au profit des centres commerciaux périphériques (autre grande spécialité nordiste).

En 1989, l’élection de Jean-Louis Borloo à la tête de la ville et de l’agglomération, a conduit à une inflexion notable de la politique d’aménagement urbain. L’objectif de reconquête du centre de Valenciennes était assumé, passant par des opérations de rénovation urbaine et de réappropriation commerciale. Un nouveau centre a été construit au cœur de la ville afin d’inciter les valenciennois à venir faire leurs achats en ville et de préférence en utilisant les transports en commun. 

Les études de trafic routier menées dans les années 1990 ont démontré la nécessité d’agir sur le réseau de transports en commun pour limiter les effets des encombrements. Les premières études sur la création d’un tramway furent lancées en 1994, aboutissant à une prise en considération par l’Etat et une validation du projet par l’agglomération en mars 1998.

Le projet de première ligne entre Denain et Famars était déclaré d’utilité publique en juillet 2001 et les travaux étaient lancés en juillet 2003. L’année 2004 fut marquée par la pose du premier rail et le lancement de la construction de l’atelier de Saint-Waast.

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Famars - Université - 1er décembre 2007 - Le terminus situé près de l'université a largement précédé les évolutions urbaines. Le tramway démontre ici son pouvoir structurant sur l'aménagement de la ville. © transporturbain

La première ligne

La première section de la ligne 1, entre Dutemple et Université, inaugurée le 16 juin 2006, fut mise en service le 3 juillet 2006. Longue de 9,5 km et comprenant 19 stations, la ligne était ouverte exactement 40 ans après la fermeture de l’ancien réseau. Le coût de cette première phase atteignait 242,7 M€ financés par le SITURV (autorité organisatrice), l’Etat (41,5 M€) et l’Union Européenne (5 M€).

Les travaux ont impliqué la réalisation de plusieurs ouvrages d’art, notamment la reconstruction du pont Jacob enjambant les voies ferrées en gare de Valenciennes, mais aussi pour franchir l’autoroute A2 et relier des quartiers séparés par le réseau de voies rapides.

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Valenciennes - Place de la Gare - 6 février 2009 - La face frontale des Citadis 302 valenciennois évoque une légère pointe formant un V. La couleur métallisée gris-bleu est assez réussie et rompt avec la brique dominant l'habitat classique de la ville. © transporturbain

Symbole du réseau, la station de la rue de la Vieille Poissonnerie s’inspire de la place de l’Homme de Fer à Strasbourg avec sa verrière circulaire à 6 m de la chaussée, matérialisant la station centrale dans une voirie désormais réservées aux piétons et au tramway.

En revanche, la place de la gare reste difficile pour les piétons qui n’ont pas tardé à « filer droit » quitte à longer les voies du tramway et marcher sur le gazon semé pour verdir la voirie.

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Valenciennes - Saint Waast - 1er décembre 2007 - A proximité du dépôt, une rame file en direction de Famars sur l'emprise de l'ancienne ligne minière reconvertie et bien insérée dans le tissu urbain de Valenciennes et d'Anzin. © transporturbain

Le 31 août 2007, la section de 8,8 km entre Dutemple et Denain était mise en service, avec 7 stations supplémentaires. Entre l’hôtel de ville d’Anzin et l’entrée dans Denain la ligne réutilise une ancienne emprise ferroviaire minière, soit près de 8 km, conférant à la ligne un aspect interurbain.

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Hérin - 26 avril 2023 - Le parcours sur l'ancienne ligne des chemins de fer miniers donne un caractère vicinal à la première ligne valenciennoise. Initialement autorisée à 70 km/h, cette section n'est plus parcourue qu'à 50 km/h, ce qui dégrade la performance du service. © transporturbain

Le coût de cette deuxième phase s’élevait à 69 M€. Le terminus Espace Villars est doté d’une vaste verrière, rappelant le passé industriel de la ville et matérialisant le pôle d’échanges bus-tram de Denain.

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Denain - Espace Villars - 1er décembre 2007 - Le terminus a l'air d'une petite gare moderne avec sa verrière faite d'acier, de verre et de bois, ce qui renforce le caractère interurbain de la ligne 1. © transporturbain

Ainsi, les phases 1 et 2 du projet de tramway étaient réalisées. Deux stations supplémentaires furent ajoutées en septembre 2008 et juillet 2009. La branche Saint-Waast – Hôpital envisagée n’a pas été réalisée faute de crédits suffisants. Une navette de bus assure ce service.

La première ligne dessert également 4 parcs-relais situés à Famars, Nungesser, Anzin et Saint-Waast pour améliorer l’attractivité du tramway y compris pour les automobilistes.

Entre Valenciennes et Denain, les trains régionaux de la ligne Valenciennes - Cambrai accessibles avec un titre urbain, assurent une liaison en 12 minutes, mais avec des gares à l’écart de l’hypercentre, rendant le tramway d’autant plus attractif qu’il assure une desserte toutes les 10 à 15 minutes contre 7 allers-retours ferroviaires par jour en semaine.

La deuxième ligne

La troisième phase du projet de tramway consiste en la liaison Valenciennes – Vieux-Condé, mise en service le 24 février 2014. Longue de 15,5 km, la ligne T2 est connectée à T1 à la station Croix d’Anzin et le terminus commercial de la ligne s’effectue soit à la station Vosges soit à l'Université.

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Anzin - Avenue de Saint-Amand - 26 avril 2023 - La jonction entre les deux lignes en amont du pont Jacob n'est pas des plus performantes, du fait du profil du raccordement des aptitudes très moyennes du Citadis. L'intervalle ayant été détendu à 15 minutes, le tronc commun n'est donc pas saturé. © transporturbain

La genèse de cette ligne fut mouvementée car il était initialement envisagé de rejoindre Crespin. La longueur de la ligne et les moyens budgétaires limités de l’agglomération amorcèrent des réflexions sur le mode de transport, trolleybus ou BHNS. Finalement, la limitation du projet à la section Valenciennes – Vieux-Condé a permis de réaliser un tramway à condition de renoncer aux aménagements de façade à façade et de concevoir une ligne en voie unique, avec point de croisement systématique aux stations. Le projet fut ainsi déclaré d’utilité publique en novembre 2009.

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Bruay-sur-Escaut - Rue Jean Jaurès - 8 mars 2014 - Le tramway en voie unique sur la ligne 2 : un moyen de limiter les dépenses tout en préservant l'efficacité d'un service rapide à grande capacité. © J. Marinier

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Bruay-sur-Escaut - Rue Jean Jaurès - 26 avril 2023 - Sur cette longue artère, l'insertion du tramway a été réalisée a minima pour limiter les dépenses. En outre, un stationnement abondant a été maintenu de chaque côté de la chaussée, ne laissant parfois qu'un espace très limité aux piétons. Cependant, l'habitat bordant l'artère ne dispose pas de stationnements privatifs. © transporturbain

On notera que l’ancienne emprise ferroviaire entre Anzin et Condé-sur-Escaut n’a pas été valorisée : potentiellement plus rapide, la ligne aurait été plus excentrée des quartiers les plus denses, notamment à Bruay-sur-Escaut.

Le coût de l’opération T2 atteint 124 M€, soit 8 M€ du kilomètre, un record pour une ligne urbaine, permis par le recours à la voie unique. La mise en service de T2 porte à 33,8 km la longueur du réseau de tramways valenciennois.

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La branche Est

Les lignes 15 et 16 du réseau de bus Transvilles assurent aujourd’hui la desserte par un tronc commun entre la gare de Valenciennes et Onnaing au-delà duquel éclatent 5 branches.

Le projet initial de la deuxième ligne prévoyait d’intégrer la desserte de Crespin en réutilisant l’emprise ferroviaire à l’entrée d’Onnaing, sur 6,6 km jusqu’à Quiévrain, en Belgique, où la ligne est toujours exploitée par la SNCB (ligne Quiévrain – Mons). Cependant, le projet de tramway pourrait être concurrent d’une réouverture ferroviaire de la ligne Valenciennes – Mons – Charleroi, sauf à envisager une exploitation par tram-train afin de proposer une dualité de service. La mise en service du BHNS sur l’itinéraire des lignes 15 et 16 était prévue mi-2016 mais au final, il fallut se contenter d'aménagements minimalistes sur la voirie pour améliorer la circulation des autobus.

Exploitation : des choix étonnants

Le réseau exploite 30 Citadis 302 d'Alstom au gabarit 2,40 m, dont 20 sont arrivés au titre de la première ligne et 10 au titre de la seconde. Le matériel est remisé et entretenu dans le dépôt de Saint-Waast.

Dans une agglomération dont le centre est petit, la circulation est assez facile et la vitesse aisément soutenue. Cependant, sur la ligne 1, le prolongement à Denain était initialement parcouru à 70 km/h entre les stations Université et Jaurès. La vitesse a été ramenée à 50 km/h suite aux critiques des conducteurs sur l'effet de lacet et à un STRMTG étrangement inquiet de la fiabilité du matériel.

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Hérin - 26 avril 2023 - Vitesse ramenée à 50 km/h sur le parcours interurbain. Il faudra peut-être un jour s'interroger sur les aptitudes de ce matériel sur des sections rapides de longueur significative... et sur la consistance des motivatons de ces décisons. Mais en attendant, l'allongement du temps de parcours ne va évidemment pas dans l'intérêt des voyageurs... © transporturbain

Sur la ligne 2, la voie unique sur la majorité du parcours, moyennant quelques sections à double voie pour assurer des croisements dynamiques, nécessite de nombreux appareils de voie, franchis à faible allure du fait des aptitudes du Citadis. Comme certaines stations sont à voie et quais uniques en fin de zone à double voie, les conflits entre tramways peuvent allonger le temps de trajet de plusieurs minutes. Une double voie généralisée aurait été possible à condition d'examiner la possibilité d'une circulation en mixité avec la circulation générale, mais ces sections sont généralement limitées à 30 km/h, ce qui est probablement au moins aussi préjudiciable. En revanche, il est regrettable de voir que le stationnement automobile sur trottoirs a été largement maintenu sur ce parcours.

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Bruay-sur-Escaut - Rue Jean Jaurès - 26 avril 2023 - Etrange configuration qui place la station au débouché d'une section à double voie, mais sur la partie à voie unique. Conséquence, en cas de retard, la perte de temps est amplifiée par cette configuration et un paramétrage des carrefours qui s'y perd... © transporturbain

A bord des rames, s'il n'y a guère de différences avec les autres rames du même constructeur, l'information à bord mériterait d'être revue : les annonces sonores sont un peu envahissantes et manquent de fluidité tandis que les défilants à diodes annonçant les prochaines stations sont tout simplement illisibes pour d'étranges raisons, puisque les diodes sont blanches quand elles ne sont pas éclairées.

Enfin, les intervalles ont été assez nettement détendus puisque les rames passent toutes les 15 minutes, en pointe comme en milieu de journée, et même à la demi-heure le dimanche. Le réseau valenciennois a pâti des effets de la crise sanitaire avec une forte baisse de sa fréquentation et un retour de l'automobile dans une ville qui ne connaît guère de difficultés de circulation.

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