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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains
6 octobre 2022

Rétablissement de l'offre : pas si facile

L'effet de ciseau est redoutable : alors que le rétablissement du service nominal sur les réseaux de transports en commun après la pandémie de 2020-2022 est justifiée par le retour des voyageurs, parfois même en rattrapant le rythme ayant précédé le confinement de mars 2020 ; alors que le renchérissement du prix du carburant, même masqué par un subventionnement massif et onéreux de l'Etat, incite à réfléchir à l'usage de la voiture ; alors que l'été qui vient de s'achever a donné un avant-goût supplémentaire des années à venir sur le plan climatique ; alors que la guerre en Ukraine provoque une flambée - elle aussi atténuée par l'Etat du moins pour un temps - des prix de l'énergie ; les réseaux font face à une accumulation inédite de difficultés. On serait tenté de dire qu'ils n'ont jamais connu pareille situation depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

En cause : un manque de personnel sur des métiers stratégiques pour ce service public, celui de conducteur. On pourrait parler de nombreux autres métiers dans ce secteur, mais celui-ci focalise toutes les attentions. Le déficit se compte en milliers, probablement plus de 10 000, car on n'arrive pas encore à clarifier réellement l'ampleur de la situation, très fluctuante, compte tenu de la persistance des mesures sanitaire en cas de test positif. Cependant, sur le plan structurel, le secteur des transports en commun a du mal à renouveler ses effectifs et à recruter pour couvrir les besoins de développement. Il y a pour partie l'effet de l'interruption des campagnes de recrutement et de formation pendant les confinements de 2020 et 2021. Il y a aussi une perte d'attractivité de ces métiers. Souvent critiqués pour leurs conditions particulières voire les privilèges des régimes spéciaux de la RATP et de la SNCF, on peut même constater que certains organes de presse plutôt libéraux en viennent à souligner les problèmes salariaux de ces métiers qu'ils considèrent insuffisamment payés (les vestes doivent avoir de bonnes coutures...). Il faut aussi peut-être y voir un effet générationnel face à des professions qui nécessitent souvent des choix de vie décalés, illustration d'un monde d'avant. Mais le télétravail pour un conducteur d'autobus n'est probablement pas encore pour demain.

Est-ce simplement une question d'ordre économique par rapport au niveau de rémunération ? Ce serait probablement trop simple. Il y a peut-être, pour la RATP et la SNCF, la confirmation de la fin des recrutements sous statut spécifique (ce qui était déjà le cas depuis plusieurs années à la RATP). Mais dans ce cas, comment expliquer les difficultés des opérateurs tels que Keolis, RATP Dev et Transdev ? La libéralisation du marché avec la fin du pré carré de ces deux entreprises à capitaux d'Etat n'est peut-être pas étrangère, mais il paraît difficile d'établir un lien de causalité sur les problèmes de recrutement, ne serait-ce que parce que les agents en bénéficiant sont assurés de le conserver. Encore une fois, en province, le renouvellement des délégations de service public prévoit déjà des dispositifs de continuité pour les personnels hors encadrement.

Les transports en commun semblent donc, comme nombre de services publics, en déficit d'attractivité et vont avoir du mal à créer les conditions d'un rétablissement du service nominal. L'attitude de l'Etat n'est pas anodine, elle non plus : hormis quelques effets de manche qui ne font plus guère illusion que pour quelques naïfs et autres thuriféraires (les deux catégories étant pour partie fongibles), ils sont depuis trop longtemps mal considérés par les différentes majorités. Que ce soit pour le chemin de fer ou les réseaux urbains, les investissements pour améliorer et développer les réseaux demeurent insuffisants, alors que la demande augmente, malgré la redécouverte du vélo.

Pour les transports urbains, si l'initiative est clairement du côté des collectivités locales, le rôle de l'Etat demeure déterminant dans l'appui aux projets. On se souvient par exemple des effets de la Loi sur l'Air et l'Utilisation Rationnelle de l'Energie, adoptée en 1996 et qui avait notamment amorcé la démarche des Plans de Déplacements Urbains et une participation de l'Etat jusqu'à 25% du coût des infrastructures nouvelles. Il en avait résulté le puissant mouvement de renouveau du tramway en France et de quelques projets de métro.

L'inflation des coûts de l'énergie est un nouveau facteur de nature à mettre le service sous tension puisque les autorités organisatrices y sont désormais confrontées et leurs marges de manoeuvre sont évidemment réduites : augmenter la contribution des collectivités locales et des entreprises (via le Versement Mobilité) ne semble guère avoir d'issue, tout comme la hausse la tarification pour les usagers. Bref, une demande en hausse, des ressources au mieux stagnantes, des coûts en hausse et des carences d'effectifs : il est bien difficile à ce stade d'entrevoir les portes de sortie plausibles. Il faudra assurément des moyens supplémentaires, en investissement comme en fonctionnement... mais d'où pourraient-ils provenir ? Pour le chemin de fer, on rappellera une fois de plus les conditions honteuses - scandaleuses ! - du naufrage de l'écotaxe. Pour les réseaux urbains, l'hypothèse de péages urbains ne semble pas avoir les faveurs de l'Etat et des collectivités locales compte tenu d'effets relativement mitigés dans les villes qui y ont recours. Et on sait la capacité de réaction épidermique d'une partie de la population face à la perspective de ce qui ressemblerait de toute façon comme un nouvel impôt.

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Commentaires
D
Le péage urbain nous entraîne loin du sujet rétablissement de l'offre.<br /> <br /> Certes le gouvernement l'a déjà envisagé, et la Cour des comptes le recommande, masi il se heurte à un tabou : ce serait pénaliser les plus modestes et avantager les riches.<br /> <br /> Encore queleque chose à mettre sous conditions de ressource ?<br /> <br /> Déjà que les pauvres ne peuvent plus entrer dans Paris avec leurs vignettes Crit'Air repoussantes.
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T
Petite interrogation sur les "résultats mitigés" des villes ayant un péage urbain.<br /> <br /> Ça me semblait sous pas mal d'angles (congestion, pollution, report modal) une assez grande réussite sans exception, que ce soit à Stockholm, Milan ou Oslo.<br /> <br /> <br /> <br /> Un article en perspective ?
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W
non… !<br /> <br /> <br /> <br /> "dont" commerce et réparation automobile, en %
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D
Retour à Paris après 2 mois 1/2 d'absence.<br /> <br /> Le seul bus rescapé des suppressiions d'avril 2019 pour de rendre rive gauche à partir de chez moi circule toutes les... 40 min (environ) !
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F
A vous lire je vois de nombreuses contraintes alors qu’il faut voir les opportunités:<br /> <br /> - c’est l’occasion de rationaliser le fonctionnement des lignes (trajets, priorités aux feux, nombre d’arrêts etc)<br /> <br /> - généraliser les bus articulés dans les grandes agglomérations. J’ai vécu le passage en articulés du c13 et du c6 à lyon, les bus sont presque toujours aussi plein. Cela maximise la productivité de chaque conducteur et peut ouvrir à des revalorisations du salaire <br /> <br /> - les milieux libéraux critiquent le regime spécial sncf/ratp et son coût pour la collectivité, pas le niveau des salaires qui est le fruit de l’offre et la demande
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W
difficile de sortir d'une économie centrée sur la bagnole du jour au lendemain, malgré les menaces de tous ordres qui se bousculent à l'horizon ; dès lors les difficultés - qu'on espère passagères - pour recruter dans le secteur du transport public n'ont rien d'étonnant : <br /> <br /> <br /> <br /> rien qu'à l'échelle des grandes agglomérations un cinquième des emplois (nombre d'établissements) est trusté par le secteur "commerce et réparation automobile" : <br /> <br /> <br /> <br /> https://www.insee.fr/fr/statistiques/1405599?geo=UU2020-35701+UU2020-44701+UU2020-33701+UU2020-00758+UU2020-63701+UU2020-34701+UU2020-00759+UU2020-00760+UU2020-38701+UU2020-06701+UU2020-00755
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J
La situation semble assez différente selon les réseaux, et il n'est pas toujours facile de séparer les réductions d'offre pour raison financière et celles par manque de personnel.<br /> <br /> A Rennes par exemple le réseau Star semble épargné, à l'exception de quelques suppressions ponctuelles sur les lignes sous-traitées uniquement (et une réduction du service spécial bus de stade, dont on peut d'ailleurs s'attendre à une baisse pérenne car la ligne b capte maintenant une partie du trafic). A l'inverse d'autres réseaux ont encore le service réduit de début 2021...
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A
A cela s'ajoute le projet de plafonnement par l'Etat des dépenses de fonctionnement des intercommunalités à un niveau inférieur à l'inflation. On est en pleine contradiction :<br /> <br /> 1. il faut faire baisser les émissions gaz à effet de serre, la pollution et la consommation d'énergies fossiles<br /> <br /> 2. cela passe par faire baisser l'usage individuel de l'automobile, qui a tout faux sur ces trois tableaux<br /> <br /> 3. les transports en commun sont un important outil pour y parvenir<br /> <br /> 4. mais l'Etat, au lieu de les aider, met des obstacles financiers à leur développement
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