L'année 2020 sera peut-être celle qui, par l'effet de la crise sanitaire, celle d'un puissant coup d'accélérateur à l'usage du vélo, mais cet essor a été souvent pensé de façon unidimensionnelle, ce qui a donné lieu, par exemple dans les différents articles (dont celui-ci) de transportparis, à des débats parfois houleux, ces aménagements négligeant un peu trop les autres usages de la voirie et plus largement de l'espace public. En résumé, on peut reprocher aux aménagements réalisés de privilégier la course aux kilomètres de pistes cyclables affichés dans la communication politique, quitte à les réaliser à la place de couloirs pour autobus et plus largement à impacter le fonctionnement des transports en commun... ou à les rendre inutilisables par les cyclistes eux-mêmes.
Il est d'ailleurs à noter que la région parisienne constitue un cas extrême - sinon extrémiste - avec en prime un foisonnement de blocs de béton et plots en plastique, incarnant une extraordinaire rigidité du cloisonnement des modes de transport, et pas toujours bien pensés, mais aussi une confusion souvent entretenu dans certains esprits : la chaussée n'est pas que l'espace de la voiture individuelle, et, s'il ne fallait retenir qu'un seul exemple, l'organisation des livraisons reste le parent pauvre de ces aménagements, initialement considérés temporaires, mais dont beaucoup pourraient devenir définitifs (on espère que les blocs de béton et autres plots de plastique ne le seront pas...). Heureusement, dans d'autres villes, on a su rapidement adapter les aménagements en tenant mieux compte de l'ensemble des usages de l'espace public.
Chaville - Rue Roger Salengro - 23 octobre 2020 - Ce n'est pas forcément mieux en banlieue. Le cycliste circule sur l'ancien couloir utilisé auparavant dans le sens Versailles - Pont de Sèvres par l'importante ligne 171. Le couloir en direction de Versailles, matérialisé par une bordurette, est ici préservé dans sa fonction... © transporturbain
Lyon - Boulevard des Etats-Unis - 19 décembre 2020 - Outre le développement du réseau de tramways avec ici le croisement entre T4 et la récente ligne T6, ce cliché montre la création ces derniers mois d'une voie de bus sur le boulevard, matérialisée par des bandes peintes et panneaux, prenant l'une des deux files de circulation. La piste cyclable existait déjà depius le réaménagement de l'axe à l'arrivée de T4. Il en résulte un espace large pour les bus et les cyclistes, ce qui est une situation acceptable dès lors que le flux d'autobus n'est pas trop important. © transporturbain
En fin d'année, on avait déjà eu un premier signal d'alarme adressé en septembre dernier par la présidente de la RATP, qui appelait à un peu plus de raison et un peu plus d'efficacité afin de ne pas se tromper de cible : on ne sait pas s'il y aura un « monde d’après », mais pour l'instant, la première chose revenue à peu près à son niveau d'avant la crise, c'est quand même le trafic automobile.
L'Union des Transports Publics a donc pris la plume et publié en fin d'année une position officielle, qu'on peut qualifier de courageuse dans un contexte parfois exacerbé où tout ce qui n'est pas aveuglément pour est considéré radicalement contre. L'UTP rappelle que l'objectif porte à la fois sur la lutte contre l'étalement urbain, facteur de développement de l'usage de la voiture, la lutte contre la congestion et les pollutions générées par le transport individuel motorisé... et qu'à ce jour, les courts trajets sont encore trop souvent effectués en voiture.L'organisme appelle à décloisonner les stratégies d'aménagement urbain, non seulement par une plus forte intégration des transports, et singulièrement des transports en commun dans les politiques d'urbanisme, mais aussi par une dimension multimodale afin de ne pas se tromper de cible : pour l'instant, la croissance de l'usage du vélo provient d'un report provenant de la marche ou des transports en commun, et marginalement de la voiture. C'est contreproductif et, in fine, profite à la voiture.
Il s'agit donc, pour une ville durablement apaisée, de mieux faire cohabiter les modes de transport, et singulièrement le couple autobus - vélo (elle se pose moins avec les tramways français modernes, en site propre, puisque les plateformes sont généralement interdites aux vélos). L'UTP rappelle dans cette position que l'usage des couloirs d'autobus par les cyclistes est rarement autorisé dans les villes où l'usage du vélo a le plus progressé. L'explication fournie est assez simple : si la vitesse moyenne de circulation est relativement comparable en milieu urbain, la vitesse de pointe n'est pas la même (un bus peut rouler jusqu'à 50 km/h entre 2 arrêts) et la masse des véhicules est très différente, créant une logique sensation du vulnérabilité du cycliste dans un couloir pour autobus, surtout si le trafic y est dense.
Au passage, l'UTP rappelle que les transports en commun présentent de loin le meilleur ratio capacité / espace occupé : pour 200 personnes en déplacement, 3 autobus ou un tramway occupent 150 m², contre 300 m² pour 200 vélos et... 2400 m² pour 175 voitures. C'est donc par les transports en commun que l'espace public peut être réaménagé, pour qu'ils soient intrinsèquement plus performants, y compris dans la dimension économique de maîtrise des coûts d'exploitation, ce qui n'est pas un petit sujet en ce moment, par les effets de la crise sanitaire et d'un « quoi qu'il en coûte » gouvernemental à géométrie très variable. Les transports en commun seront aussi plus efficaces dans l'objectif de réduction de la part de déplacements assurés en voiture... et pour dégager de l'espace pour d'autres usages : les piétons, les cyclistes et on sera tenté d'ajouter aussi une dose de végétalisation.
Aussi, l'UTP préconise de dissocier les espaces de circulation de ces deux modes quand le trafic des transports en commun est élevé : en clair, pas de vélos dans les couloirs de bus sur les grands axes à fort trafic, cette mixité ne pouvant être que ponctuelle, sur des sections à moindre trafic de bus. Elle met en avant également le besoin de penser au stationnement des vélos car aligner les kilomètres de pistes cyclables ne saurait être suffisant et il faut aussi veiller à ne pas créer une forme de pagaille sur ce sujet. Au chapitre des points de vigilance, l'UTP appelle aussi à respecter le juge de paix qu'est le Code de la Route...
On pourra faire 2 remarques à cette prise de position :
- si la chaussée représente bien entre 50 et 60% de la largeur d'une rue, il est erroné de dire que c'est l'espace de la voiture car il y a d'autres usages à cet espace : véhicules d'urgence, d'intervention, livraisons, travaux publics et privés... et souvent transports en commun, puisque l'autobus reste encore le mode de référence dans de nombreuses villes et ne dispose pas systématiquement - parce que le besoin n'est pas justifié - de voie réservée ;
- la question des livraisons, qui ne cessent d'augmenter avec l'essor accéléré du commerce en ligne, pose des difficultés de plus en plus aiguës, mal appréhendées, y compris dans les récents aménagements, ce qui se traduit par une gêne à la fois pour les transports en commun et pour les cyclistes quand leurs voies sont occupées par des livreurs qui n'ont parfois guère d'autres choix.
Il faut voir aussi que les aménagements cyclistes ne sont pas toujours optimaux (pistes qui s'arrêtent, itinéraires aberrants, incohérence des aménagements).
Contrairement à ce que l'on peut penser, les décideurs parisiens (et je ne parle même pas de la banlieue) ne doivent pas souvent faire de vélo.
Mais globalement la séparation des voies de circulation semble la meilleure solution. Elle a aussi l'avantage de remettre les scooters à leur place car quand les couloirs de bus sont partagés ils sont en général squattés par les deux roues motorisés ce qui est le moins le cas des voies spécifiques.