Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Pour un retour des trolleybus au Havre

L’histoire du trolleybus au Havre a été, comme dans de nombreuses villes françaises, assez brève puisqu’elle n’a duré que 23 ans, de 1947 à 1970.

En préalable, il n’est pas inutile de rappeler que Le Havre a été l’une des premières villes françaises, hormis la capitale, à bénéficier d’un réseau d’omnibus hippomobiles dès 1832. Les tramways à traction animale étaient introduits en 1874 et l’électricité apparaissait 20 ans plus tard, là encore en faisant office de pionnier puisque Le Havre fut la première ville de France dotée d’un réseau totalement électrifié.

A l’origine, évidemment les conséquences du sous-investissement dans les années 1920 et 1930 sur le réseau de tramways, l’explosion du déficit d’exploitation, du fait de l’inflation à laquelle le gouvernement tentait de lutter par une politique de blocage des prix, qui se répercutait jusque dans les services publics locaux, mais aussi le contexte particulier d’une ville dévastée par les bombardements de 1944.

Le trolleybus au Havre : une parenthèse éphémère

Et pourtant. Par l’engagement du personnel de la compagnie, un premier service de tramways put être rétabli dès le 2 octobre 1944, 3 semaines après la Libération d’une ville dévastée par les bombardements, alors même que 75% du parc étaient inutilisable.

Transitoirement car la ville envisageait, en lien avec sa reconstruction, une modernisation qui s’affranchisse des voies ferrées, pour réduire les coûts d’investissement dans un contexte économique particulièrement difficile. En outre, le développement du port, avec la manœuvre des ponts mobiles, s’avérait une contrainte de plus. Le trolleybus présentait l’avantage de conserver la traction électrique, d’autant que les installations fixes étaient encore en état, dans une ville caractérisée par un fort contraste topographique.

Au Havre, il faut distinguer la plaine de l’estuaire de la Seine et les hauteurs, avec une voirie au profil pouvant s’avérer particulièrement raide, avec des passages à 8 voire 10% et des virages en épingles à cheveux. Or les autobus de cette époque étaient insuffisamment motorisés pour assurer un service performant… encore qu’à l’époque, cette qualité n’était pas nécessairement déterminante : il fallait rétablir des transports en commun, car la population en avait besoin et l’automobile pour tous était encore un projet. Il fallait 2 ans pour prendre possession d’une 2CV Citroën !

Le choix de la ville du Havre fut donc de cantonner l’autobus aux lignes de plaine et d’adopter le trolleybus pour les lignes du plateau. Un premier essai avait eu lieu dès 1938 sur la ligne Ignauval – Les Phares avec un trolleybus destiné à Tunis, avant son embarquement. Trois lignes furent ainsi équipées entre 1947 et 1957, soit un peu plus de 18 km de lignes :

  • 8 Gare – Mairie – Hallates, le 1er août 1947, prolongée le 4 novembre 1950 de Hallates à Aplemont ;
  • 6 Gare – Bléville le 5 juin 1951 ;
  • 3 Gare – La Hêtraie le 14 août 1957.

Le service fut d’abord assuré par 7 Vétra CS60, qui constitua, avec son homologue CB60 (la différence se limitant au fournisseur du châssis : Scémia-Renault ou Berliet), le trolleybus de base pour nombre de réseaux dans des villes de taille moyenne. Les délais étaient si tendus que les premiers essais avant le service commercial furent réalisés avant l’achèvement des travaux de la ligne aérienne en utilisant la souris (retour du courant par le rail du tramway, imposant au trolleybus une précision dans la trajectoire).

080764_CS60le-havre_capolini

Le Havre - Boulevard de Strasbourg - 8 juillet 1964 - Rare cliché en couleurs d'un CS60, assurant un service de la ligne 8 à l'arrivée du terminus de la gare. La girouette indique déjà le terminus du prochain trajet jusqu'à Aplemont. © J. Capolini

Ensuite, le réseau renforça son effectif avec des 5 VBRh neufs, plus capacitaires et avec 3 portes mais aussi 5 CS60 également neufs mais prévus pour le développement du réseau bordelais qui fut abandonné puis 10 autres CS60 de seconde main, en récupérant le parc bordelais et quelques voitures de Nice. Soit au total 27 trolleybus.

1968_VBRh-le-havre1

Le Havre - Gare - 1968 - Ci-dessus un VBRh en service sur la ligne 6 et, ci-dessous, un VBR de la ligne 8. La différence entre les deux modèles se repère d'abord aux baies de hauteur plus faible sur les VBR. En outre, Le Havre avait récupéré des trolleybus de Strasbourg identifiables à leur capot de ligne particulier intégrant les résistances de démarrage, contribuant à réchauffer l'intérieur du véhicule. © J.H. Manara

1968_VBRgare_manara

En 1960, 4 autobus Chausson APV furent acquis sans moteur thermique pour que les ateliers de la CGFTE puissent installer des équipements électriques Vétra récupérés sur des CS60 devenus d’une capacité insuffisante. Ils procurèrent une capacité supplémentaire en lien avec les travaux de reconstruction de la ville et l’augmentation de la population

1968_VBC-le-havre

Le  Havre - Boulevard de Strasbourg - 1968 - Les trolleybus empruntaient la rue Jules Lescène et non le boulevard de Strasbourg pour accéder à la gare, sauf dans la partie terminale pour constituer la boucle terminale. Cet APV (aussi appelé VBC) circule sur la ligne 5. Deux ans avant leur réforme, ces véhicules âgés d'à peine 10 ans étaient en excellent état. © J.H. Manara

Cependant, l’automobile occupant une place de plus importante dans une ville où la reconstruction avait amené à tracer de larges artères, les premiers embarras de circulation motivèrent l’instauration de plans de circulation comprenant la mise à sens unique de certaines rues. Résultat, à défaut de modifier le réseau de bifilaires, les trolleybus devaient un obstacle. Parallèlement, Saviem commercialisait l’autobus standard SC10U, au demeurant très bien conçu pour l’époque, mais qui eut pour conséquence de précipiter la fin des trolleybus.

Le 29 décembre 1970, le dernier trolleybus rentrait au dépôt. Pourtant, les derniers VBRh d’occasion étaient arrivés 2 ans plus tôt, Limoges montrait la voie avec des rénovations judicieuses et les sous-stations avaient été installées entre 1958 et 1962 pour remplacer l’usine électrique héritée du tramway.

300970_5gare_machure

Le Havre - Cours de la République - 30 septembre 1970 - C'est bientôt la fin pour les trolleybus havrais. Sur ce cliché probablement pris à l'hôtel de la gare (avec une chambre bien choisie), on aperçoit l'arrière d'un VBR et VBC. On notera aussi le croisement de lignes aériennes type Delachaux, très répandu sur les réseaux français. © J.P. Machuré

Ironie de l’histoire, les SC10U allaient se révéler mal à l’aise sur les profils difficiles des lignes reliant le centre-ville aux hauteurs du plateau, où la population augmentait par la construction de grands ensembles collectifs. Il en résulta la suppression de nombreux arrêts sur les sections en forte pente, tout simplement car le SC10U n’arrivait pas à redémarrer !

Un complément naturel au tramway

Les temps ont aujourd’hui bien changé car les autobus contemporains sont bien plus puissants. Il n’en demeure pas moins que les pics de consommation de carburant sont importants, tout comme les nuisances et la pollution, certes avec les progrès importants sur les motorisations depuis les années 2010.

Qui plus est, l’arrivée du tramway en 2012 a changé l’image des transports publics havrais, qui ont su également conserver le funiculaire, dont le rôle reste modeste avec environ 500 000 utilisateurs par an. Mise en service en 1890, cette ligne de 343 m a été modernisée en 1972 avec la conversion à un roulement sur pneumatiques. De nouvelles cabines seront prochainement mises en service.

020313_funiculaire3

Funiculaire du Havre - 2 mars 2013 - N'oublions pas que Le Havre n'est pas une agglomération plate. La preuve : il y a un funiculaire !  © transporturbain

131016_TRAMbois-au-coq6

Le Havre - Rue du Bois au Coq - 13 octobre 2016 - Même le tramway doit affonter, à partir du tunnel Jenner, un profil plus difficile. Autant dire que l'intérêt du trolleybus semble assez évident sur les lignes desservant le plateau Nord de l'agglomération. © transporturbain

Alors, un retour du trolleybus est-il possible ? Il est probablement souhaitable.

Les autobus électriques sur batteries sont certes une solution très en vogue, mais ces véhicules restent onéreux et la lourdeur des batteries aboutit à réduire la capacité d’emport des véhicules toujours plafonnée aux mêmes valeurs de poids total en charge qu’un véhicule Diesel. L’autonomie reste relativement limitée et permet à peine de couvrir une journée de service entre deux recharges nocturnes. La recharge intermédiaire au terminus implique un allongement des stationnements pouvant se traduire par un véhicule de plus en ligne.

Dans le cas du Havre, la topographie constitue évidemment un argument de plus, mais il faut quand même rappeler que la traction électrique est aussi pertinente sur des axes de plaine, notamment en milieu urbain dense.  

L’enjeu énergétique est bien présent, au-delà de la question des nuisances, pour réduire la dépendance aux énergies fossiles, mais aussi pour améliorer encore le confort des transports en commun : le moindre niveau sonore (pour les riverains et les voyageurs) et le confort accru du trolleybus sont des atouts indéniables.

Qui plus est, la nouvelle génération de trolleybus peut s’affranchir assez nettement de lignes aériennes. Il n’est plus nécessaire d’équiper l’intégralité du parcours. Les trolleybus IMC (InMotion Charging, à recharge dynamique), tels ceux mis en service fin 2019 – début 2020 à Limoges et Saint Etienne, ceux commandés à Lyon, peuvent circuler hors bifilaires sur une quinzaine de kilomètres, ce qui leur permet de composer avec des déviations inopinées et, éventuellement, de simplifier le schéma de pose des lignes aériennes dans les secteurs centraux pour réduire le nombre d’aiguillages et de croisements et en se contentant de dérouler des sections courantes plus faciles et donc moins onéreuses. Il semble qu’un ratio 60/40 puisse être plausible : pour 10 km de ligne commerciale, 60% sous ligne aérienne et 40% sur batteries.

L’intérêt réside évidemment dans la diminution du besoin en batteries, la maîtrise de la masse du véhicule, une garantie de performance et d’amplitude de service et surtout l’interopérabilité du dispositif de captage du courant. Pour les autobus, ce n’est pas encore le cas, alors que la perche et la bifilaire sont des techniques éprouvées depuis plus de 100 ans !

Quels itinéraires ?

La coordination entre un retour du trolleybus et la poursuite du développement du tramway s’impose sur trois secteurs :

  • d’abord la transformation de la liaison ferroviaire Le Havre – Rolleville en tramway et le choix du tracé entre Harfleur et l’actuel réseau ;
  • ensuite l’éventuelle desserte des quartiers sud du centre-ville, vers la cathédrale, afin d’éviter d’envoyer tous les tramways sur le front de mer ;
  • enfin l’hypothèse d’un prolongement depuis l’actuel terminus de la plage vers Sainte Adresse.

De ce fait, le retour du trolleybus pourrait être examiné dans un premier temps sur des lignes non directement concernées. Les lignes 4, 5, 6 et 7 pourraient ainsi constituer ce premier secteur d’études, complété éventuellement par la ligne 1 selon les arbitrages de la Communauté Urbaine pour la desserte de Sainte Adresse. Le cas des lignes C2 et 3 dépendra des orientations sur la desserte de l’est de l’agglomération par le tramway. L’itinéraire non retenu pour le tramway pourrait être équipé en trolleybus.

101216_2de-gaulle1

Le Havre - Rue de Paris - 10 décembre 2016 - Le développement du tramway et du trolleybus sont partiellement liés. La ligne désormais baptisée C2, dotée d'autobus articulés, sera-t-elle convertie au tramway dans le cadre du projet de transformation de la desserte ferroviaire de Rolleville ? © transporturbain

Ainsi, il y aurait au moins 6 lignes à convertir au trolleybus, constituant un ensemble homogène, de nature à constituer un parc suffisamment consistant pour être économiquement viable. Restera à définir la proportion de véhicules standards et articulés, par rapport à la situation existante et l’ambition pour le réseau de transports en commun havrais. La ligne C2 est actuellement dotée d’autobus articulés, mais la fréquentation de la ligne 3 pourrait fortement augmenter à la faveur des projets urbains sur ce corridor. Encore une fois, tout dépendra du schéma directeur des tramways, mais on peut a priori tabler sur 50 à 60 trolleybus aux couleurs havraises dans pareille perspective.

VBR-le-havre

Devant le tunnel Sainte-Marie, qui jadis vit passer parmi les premiers tramways électriques, le trolleybus Vetra VBR n°15, préservé par l'AMTUIR, est revenu sur ses terres en 2022. © G. Carena

Publicité
Publicité
Publicité