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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

A propos du prix des carburants

« Quand l’essence sera à 10 francs, on ne roulera plus ! »

Le prix des carburants augmente. Comme si c'était une nouveauté depuis le choc pétrolier de 1973. Cette petite phrase, on l’a entendu voici 40 ans. Voyez ce reportage de FR3 Lyon en 1980. Pourtant, le litre de super coûte aujourd’hui bien plus que les 10 francs de l’époque pompidolienne… du moins en apparence, et le trafic ne cesse d’augmenter !

A l’origine de cet article, l’impact d’une hausse de 1 centime de la fiscalité sur les carburants, venant compenser l’abandon de l’écotaxe (qui ne devait porter que sur le transport routier de marchandises), survenant dans un contexte international d’augmentation du prix du pétrole, ainsi que la limitation à 80 km/h de la vitesse sur les routes nationales et départementales, qui ont servi de terreau au mouvement des gilets jaunes en 2018-2019.

Quelques chiffres

Commençons par ces chiffres de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’énergie résumés par Franceinfo et Le Monde :

  • 28,5 % de la production française de gaz à effet de serre provient des transports ;
  • 94 % de la part des transports provient de véhicules routiers, contre 0,3 % pour le chemin de fer ;
  • 56 % des émissions venant du transport routier sont dues à des voitures particulières ;
  • 50 % des déplacements domicile-travail font moins de 5 km à l’échelle nationale, mais dans les grandes villes, 58 % de ceux-ci s’effectuent sur moins d’un kilomètre ! 77 % des émissions polluantes liées à l’automobile proviennent de moteurs Diesel.

D'autres chiffres également assez éloquents sur la réalité de l'usage de la voiture, issues des données de l'INSEE :

  • 98 % des déplacements tous motifs confondus concernent une distance inférieure à 80 km ;
  • 35 % font moins de 2 km ;
  • 60 % font moins de 5 km ;
  • la moyenne nationale d'un déplacement est de 3 km.

Ajoutons ces chiffres communiqués par la FNAUT, sur la base des travaux de l’économiste Jean-Marie Beauvais, spécialisé dans les transports et l’environnement :

  • 75 % de la hausse actuelle du prix des carburants est liée à la hausse du cours du baril et aux effets de des cours du dollar et de l’euro puisque le pétrole s’achète en dollars.
  • le prix actuel des carburants entre 2012 et 2018 est variable : le gasoil a augmenté de 1 % alors que le super a baissé de 8% ; en comparaison, le niveau du SMIC en 2018 est supérieur de 7 % à celui de 2012 ;

Sur le temps long, il faut mixer l’évolution relative du coût des carburants par rapport au pouvoir d’achat et les bénéfices de la réduction de la consommation des motorisations et des limitations de vitesse (dont les fameux 80 km/h sur le réseau secondaire) :

  • 1970 : 18 minutes de SMIC pour payer un litre d’essence et 1 heure de SMIC pour parcourir 68 km avec une voiture Diesel, 32 km avec une voiture à essence ;
  • 2018 : 7 minutes de SMIC pour payer un litre d’essence et 1 heure de SMIC pour parcourir 107 km avec une voiture Diesel, 88 km avec une voiture à essence.

On notera aussi qu’en 1989, on pouvait parcourir 127 km avec une voiture Diesel, ce qui correspond à l’apogée de l’avantage fiscal accordé au gasoil (sous « légère » pression des constructeurs français…). Il faut aussi, dans cette approche, prendre en considération l’évolution de la consommation des véhicules dans l’augmentation des distances parcourues à volume de carburant constant.

Autre analyse intéressante : la part des transports, tous modes et motifs agglomérés, dans le budget des ménages depuis 1960.

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Les décennies 1970 et 1980 se caractérisent par une part des transports dépassant régulièrement les 18 % du budget des ménages, soit 4 points de plus qu'en 2018... année qui se situe à l'égal de 1961 ! Voilà qui confirme une évidence : le prix à la pompe n'est absolument pas un bon indicateur pour évaluer le coût des déplacements dans le budget des ménages.

Autre argument sur lequel il faut discuter : l'impact sur les ménages les plus modestes, qui doivent toujours aller plus loin pour trouver du travail. Or les données de l'INSEE, reprises par cet article d'Alternatives Economiques, donnent des résultats au mieux nuancés voire franchement à l'opposé des propos les plus couramment tenus :

  • les foyers les plus modestes ont des distances domicile-travail de 30 à 50 % inférieures à celles des foyers les plus aisés : pour les 25% les moins aisés, les deux tiers des déplacements quotidiens n'excède pas 5 km tous motifs confondus (travail, études, loisirs) ;
  • l'usage de la voiture pour aller au travail est déjà significativement plus faible, autour de 55% contre plus de 70% parmi les ménages les plus aisés ;
  • les distances parcourues sont relativement homogènes selon la densité des territoires mais on note un net clivage entre la population des zones très urbaines d'une part et un ensemble de populations périurbaines et rurales d'autre part, ce qui confirme l'importance des modèles d'urbanisme ;
  • la part des carburants dans le budget des ménages est effectivement plutôt décroissante, mais ce n'est pas propre au seul domaine des transports et globalement du rapport à l'énergie. En revanche, on ne pourra que souligner qu'un petit déplacement urbain en voiture est très énergivore, donc très onéreux...

 « Et avec cet argent, vous faites quoi ? »

Question récurrente : l’Etat engrange des recettes fiscales sur les carburants… mais qu’en fait-il ?

Elles représentent en 2017 pas moins de 34 MM€ dont 61 % revient à l’Etat, 18 % aux Régions, 18 % aux Départements et 3 % à l’Agence de Financement des Infrastructures de Transports en France (AFITF). Dans le budget 2018, 7,2 MM€ ont été fléchés vers des mesures de transition énergétique. C’est peu. Dans le budget 2019, près de 4 MM€ de recettes supplémentaires liées à la hausse des taxes sur les carburants ne sont pas destinés à la transition énergétique.

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Saint Claude - 20 octobre 2017 - A partir du moment où le maillage du territoire par le chemin de fer est déjà relativement limité compte tenu des vagues de démantèlement depuis plus d'un demi-siècle, les zones rurales ont vu leur dépendance à l'automobile considérablement accrue... © transporturbain

Si le gouvernement voulait être un peu plus cohérent, donc un peu plus audible, il rétablirait la TVA à 5,5 % et non pas à 10 % sur les transports publics. Il engagerait plus de moyens pour le réseau ferroviaire à vocation locale, pour les services d'autocars complémentaires, le renforcement des réseaux urbains (métro, tramway, BHNS…). Initialement doté de 450 M€, le 4ème appel à projets de transports urbains a finalement été doté de 900 M€ dans le Plan de Relance engagé après la crise sanitaire en septembre 2020. Cela reste peu et les territoires ruraux sont toujours à l’écart.

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Dijon - Place Darcy - 28 septembre 2012 - Dans les grandes villes, la relance des projets de TCSP, notamment de tramway, devrait être facilitée par l'Etat : le GART, l'UTP et la FNAUT réclament depuis des années un appel à projets Grenelle Environnement de grande ampleur car le retard d'équipement des métropoles françaises reste flagrant par rapport à certains de nos voisins... © transporturbain

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Auxerre - Avenue du 11 novembre 1918 - 26 mai 2011 - Réseau d'autobus ou augmentation du nombre de places de stationnement en zone centrale ? Dans certaines villes, qui avaient augmenté la pression sur l'automobile pour que les piétons se réapproprient, un mouvement inverse a été opéré récemment, souvent sous la pression des commerçants. Mais ce sont le plus souvent eux qui occupent les places disponibles dans ces rues ! © transporturbain

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Roanne - Place de l'Hôtel de Ville - 3 août 2017 - Organisation du rendez-vous horaire des différentes lignes roannaises : un dispositif essentiel quand les offres sont limitées. Autre volet, la modernisation de la flotte, car les petits réseaux peuvent aussi subir les effets de moyens limités avec des autobus anciens. Ce n'est pas le cas à Roanne avec un parc moderne, certes encore au Diesel. © transporturbain

Il faut aussi évoquer les recettes manquantes : un peu plus de 3 MM€ d'aide indirecte est accordée au transport aérien, puisque le kérosène des avions n'est pas soumis à la taxation sur les produits pétroliers. Même principe pour le fioul lourd des navires, alors que les émissions liées à ces carburants sont encore plus nocives que celles des carburants routiers. Or la décision ne peut être française, et elle aura même du mal à être européenne. Alors, il va falloir trouver autre chose, peut-être par le relèvement des taxes sur les avions à l'atterrissage et au décollage... mais l'Etat s'empresse de reproduire avec les aéroports la même erreur que celle commise par la privatisation des sociétés d'autoroute, sous la pression du ministère des Finances dans une vision à très courte vue dont on mesure aujourd'hui la nocivité !

Quant à l'écotaxe, elle a été abandonnée de façon pitoyable (voir le dossier de transportrail) et la vignette pour les poids lourds en train de suivre le même chemin. Résultat, le ministère des Finances passe au hachoir les budgets et en particulier... les participations de l'Etat aux investissements dans les transports. Entre un budget de renouvellement ferroviaire qui n’est toujours pas au niveau des besoins, un report des prérogatives de l’Etat de plus en plus sur les budgets régionaux (financement du renouvellement des lignes de desserte fine du territoire par les Contrats de Plan Etat-Région) et la poursuite de nombre de projets autoroutiers, l’ampleur de la réorientation des politiques publiques est donc considérable !

Post-scriptum

La guerre entre la Russie et l’Ukraine à partir de février 2022 a fait exploser le prix des carburants, sans aucune manifestation comparable à celles des gilets jaunes, alors qu’on a vu s’afficher des tarifs à plus de 2,10 € le litre. Le prix des carburants avait déjà augmenté à la sortie de la pandémie de 2020-2021 en raison d’une croissance économique soutenue liée au rattrapage des mois de confinement.

L’Etat a une nouvelle fois ouvert le carnet de chèques en réduisant le prix des carburants : il faut reconnaître qu’à court terme, il n’y avait guère d’autres solutions compte tenu de l’effet sur l’activité économique, l’emploi et le climat social.

Ce conflit n’a fait que révélé l’extrême fragilité d’une économie tributaire de ressources énergétiques importées et d’une consommation effrénée de foncier grâce à liberté et à la facilité de l’usage de la voiture. Pour autant, le déclic ne s’est pas encore produit alors que se constitue désormais un faisceau convergeant de motivations nationales de nature écologique, sanitaire, économique et géostratégique.

Et dans ce contexte, il y aurait bien à dire sur le lien entre l’électrification des déplacements, et notamment du parc automobile, et la stratégie d’approvisionnement, la gestion du parc nucléaire, son avenir, le développement des énergies renouvelables… et les inquiétudes grandissantes liées au dérèglement climatique sur la filière électrique : entre la baisse du niveau des cours d’eau (et donc la capacité de production des barrages) et l’augmentation de la témpérature de l’eau des fleuves et rivières qui va peiner à refroidir les réacteurs nucléaires, il y a sérieusement de quoi être inquiet et en appeler à une extrême sobriété.

Suite du dossier

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