Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Charte d'Athènes : une théorie et des excès

La ville industrielle du 19ème siècle est fondée sur la disjonction progressive entre le lieu de travail et le lieu d’habitat et donc sur l’amélioration des moyens de déplacement des biens et des individus. L’apparition des transports en commun, leur passage de la traction animale à la traction mécanique puis électrique a permis de transporter plus de monde, plus vite et plus loin. Ainsi naquit la banlieue, mais avec une conquête des territoires autour des lignes de chemin de fer et de tramways principalement.

La voiture transforme la ville industrielle

Dans l’entre-deux guerres, monta un courant très hostile aux transports en commun, organisé par le lobby de l’automobile naissante et valorisée comme moyen de lutte contre la crise économique. Dans le même temps, la charte d’Athènes et son approche en rupture des territoires urbains faisait la promotion d’une séparation taylorienne des différentes fonctions de la ville – logement, commerce, industrie, loisirs – réunis par les infrastructures de transports motorisés d’abord, individuels surtout.

charte-athenes1

Principes fonctionnels de la Charte d'Athènes : certes, le piéton est séparé de la circulation automobile, mais celle-ci s'arroge quasiment le monopole des déplacements et cet urbanisme hors sol s'est finalement avéré générateurs d'autres problèmes sociétaux...

La voiture était donc l’outil de liaison entre les nouvelles formes urbaines :

  • les petits pavillons de banlieue d’abord, les grands lotissements inspirés du modèle américain, plus éloignés, faciles d’accès grâce à la réalisation de voies rapides ;
  • les zones commerciales autour des hypermarchés, apparues dans les années 1960 ;
  • les zones industrielles, évoluant au fur et à mesure de la tertiarisation de l’activité.

Elle se fit aussi marqueur social, certains modèles étant implicitement associés à un statut : la Citroën 2CV, la Renault 4, la Simca 1000, la Peugeot 403, la Citroën DS… Ajoutez à cette modernisation sociétale l’essor de l’électroménager et l’essor des loisirs (augmentation du nombre de jours de congés payés, week-ends à la campagne…).

Liberté + vitesse + commodité = étalement urbain

L’automobile pour tous – ou presque – a donc généré un nouveau modèle urbain, par la facilité permanente de déplacement avec un minimum de contraintes. Il fallait alors « adapter la ville à la voiture » faute de quoi, elle dépérirait face aux nouvelles formes de commerce en périphérie.

Si on échappa aux pires projets d’autoroutes urbaines, quelques cas emblématiques ont été réalisés : par exemple, la traversée de Lyon par les autoroutes A6 et A7 devant la gare de Perrache avec le « centre d’échanges », permettant de traverser la ville sans rencontrer le moindre carrefour. Paradoxe, il accueillait aussi le métro, symbole de relance des transports en commun, accompagné d’une piétonnisation des rues Victor Hugo et de la République.

perrache

Lyon Perrache vu du ciel : la voie ferrée constitue indiscutablement une coupure urbaine forte, mais le passage de l'autoroute sur le cours de Verdun a accentué cette frontière. Que n'aurait-on pas fait à cette époque pour la voiture ? (cliché x)

La ville s’est alors dispersée – déstructurée – passant d’un schéma « en doigts de gants » à un schéma principalement « en tâche d’huile », sauf quand la géographie impose ses contraintes. Après avoir achevé de colmater les interstices de la banlieue, elle partit, grâce à la création de nouvelles voies rapides (de plus en plus larges donc consommatrices d’espace), à la conquête de couronnes plus éloignées, ces espaces intermédiaires entre la ville et la campagne, donnant naissance au « périurbain » ou au « rurbain », pour profiter de logements à un prix du m² plus avantageux. Le rôle de la « rente foncière », de l’aspiration dominante à la maison individuelle et au statut de propriétaire a largement encouragé ce mitage de l’espace rural autour des principaux pôles urbains.

Il faut aussi ajouter une propension de la politique du logement à ne s’intéresser qu’au nombre et beaucoup moins à la localisation, favorisant les solutions les plus faciles et souvent les plus consommatrices de terrains nus…

Face à cela, les réseaux de transports en commun étaient en difficulté : pas vraiment dans l’air du temps et structurellement peu adaptés à la desserte de territoires de moins en moins denses, et à l’aménagement pas vraiment conçu pour faciliter la constitution d’itinéraire cohérents pour des autobus, mode de transport le « moins inadapté » mais le moins efficace aussi…

Les zones commerciales, autre symbole fonctionnaliste uniformisé

Entre augmentation de la population et création de nouvelles zones d’habitat, il fallut développer de nouveaux commerces, adaptés à la voiture : supermarchés d’abord, hypermarchés ensuite, puis centres commerciaux enfin, avec la duplication de grandes enseignes standardisant les produits.

D’abord contenue à la périphérie des grandes villes ou aux projets d’aménagements type La Défense, Mériadeck ou La Part-Dieu, ces nouvelles formes ont été ensuite déclinées en taille pour s’adapter aux agglomérations de taille plus modeste. De ce fait, la fonction traditionnelle de la cité, le commerce, s’est de plus en plus déplacé vers la périphérie des villes, et tout particulièrement dans celles de taille modeste. Le commerce de centre-ville a alors largement évolué :

  • dans les grandes villes, dans une dimension plutôt récréative, avec la domination de chaînes également très implantées dans les centres commerciaux et d’enseignes plutôt haut de gamme, en particulier dans les quartiers où finalement la place de la voiture a été remise en question en créant des axes voire des quartiers piétonniers ;
  • dans les petites agglomérations, on a plutôt assisté à une crise du commerce, pénalisé par des surfaces plus petites, parfois en état moyen : conséquence, une hausse du taux de vacance, jusqu’à 30 % dans certaines villes, et un essor de structures légères type restauration rapide.

En moyenne, en France, 62 % des achats s’effectuent désormais dans des zones commerciales périphériques, 25 % dans les commerces de centre-ville et 13 % dans ceux des faubourgs. La montée en puissance des achats sur Internet bouscule de nombreux secteurs et la saturation du marché dans certains domaines (comme l’habillement) provoque des bouleversements importants comme celui auquel on assiste en 2023 avec le dépôt de bilan de nombreuses enseignes, concourant à l’augmentation du taux de vacance des commerces, dépassant le 20 % dans nombre de petites villes. En Allemagne, les trois implantations se partagent à peu près équitablement les volumes de vente, du fait d’un moindre développement des zones commerciales périphériques et du maintien d’une forte dynamique des commerces centraux, même dans de petites villes.

291016_2kaiser-joseph-strasse2

Freiburg im Brisgau - Karl-Joseph Strasse - 29 octobre 2016 - Ville d'un peu plus de 200 000 habitants, Freiburg a fait le choix de maintenir son tramway et d'organiser l'évolution de la ville autour de celui-ci. Il en résulte une maîtrise de la consommation d'espace par emploi et par habitant et une qualité de vie renommée, favorisée par la très forte dynamique commerciale et une vie étudiante développée. Quelle ville française de cette taille peut se targuer d'avoir 5 lignes de tramways ? © transporturbain

Il faut aussi ajouter l’évolution générale de l’économie française, avec un net déclin industriel à partir des années 1970 : face à un chômage élevé, nombre de maires ont voulu accompagner la tertiarisation de l’activité par le développement des zones commerciales, nécessitant du personnel à faible qualification. Résultat, dans nombre de petites villes, les grandes surfaces sont devenues le premier employeur privé. Elles ont ensuite pu faire valoir de cette situation pour obtenir des facilités de développement.

Avec en outre un découpage communal particulièrement fin et l’arrivée de nouvelles enseignes (en particulier les « hard discounters »), on a alors assisté, notamment à partir des années 1990 à une prolifération des moyennes et grandes surfaces si bien que toute ville « qui se respecte » doit avoir une zone commerciale sur chaque route lui donnant accès, avec ronds-points et un paysage faits de boîtes métalliques dotées de vastes parkings.

Face à cela, les mêmes élus locaux ont à la fois autorisé (parfois à l’excès) ces nouvelles constructions (pour « créer des emplois ») et déploré le déclin de l’activité dans le centre. Ils ont généralement essayé de ménager celle-ci en accordant des facilités supplémentaires d’accès : parkings en ouvrage, gratuité étendue, voire retour de la circulation et du stationnement sur des espaces précédemment piétonnisés.  Le discours « on ne peut plus se garer » a souvent été le fil conducteur de politiques d’aménagement… qu’importe si, dans les rues commerçantes, les places situées devant les boutiques sont souvent occupées par les commerçants eux-mêmes… Qu’importe aussi si une fois garé, l’automobiliste devenu piéton déplore le manque d’aisance sur les trottoirs et apprécie plutôt les aménagements limitant la circulation !

affiche-gare-du-sud

Un slogan qu'on ne voudrait plus voir ! L'archétype d'une conception dépassée de l'urbanisme fondée sur l'automobilité y compris pour accéder au centre d'une métropole réputée pour l'exiguïté de sa voirie et ses difficultés de circulation. Le projet d'aménagement sur l'ancienne gare des Chemins de fer de Provence n'a pas lésiné sur le stationnement public en plein centre-ville ! © transporturbain

Une fragmentation sociologique

Plusieurs phénomènes ont été identifiés, mais ils ne concernent pas de façon uniforme toutes les villes. L’analyse porte sur 3 clés d’entrée : le niveau de revenus, la localisation du domicile et la relation à la voiture.

Dans les grandes métropoles, la « gentryfication » (certains diront aujourd’hui « boboïsation ») des quartiers centraux du fait de la hausse des prix de l’immobilier a relégué les ménages plus modestes soit dans des quartiers également centraux mais aux logements de moindre qualité (ancien non rénové, grands ensembles le long des voies rapides…), soit dans des périphéries de plus en plus lointaines, où l’usage de la voiture est encore prédominant. Il y a évidemment des exceptions (on pensera à Marseille).

Assez logiquement, plus on va vers le centre, plus le taux de motorisation des ménages tend à diminuer, surtout dans les très grandes villes.

Dans les petites villes, le mouvement est souvent inverse : logements de taille modeste avec forts contrastes sur leur qualité (surface, état) dans les quartiers centraux, les catégories intermédiaires et supérieures étant de plus en plus situées dans les couronnes périphériques, généralement au-delà des ensembles de logements sociaux le plus souvent à proximité du centre historique du fait de leur réalisation dans les années 1960-1970.

Population périurbaine des grandes villes et habitants des petites agglomérations partagent un point commun : la voiture au quotidien pour nombre de déplacements, du fait de mouvements tangentiels peu couverts par les transports en commun ou de flux radiaux dans des villes où les réseaux sont peu développés ou inexistants. C’est la population la plus sensible aux contraintes liées à la circulation automobile et à l’augmentation de son coût : on retrouve cette « France périphérique » dont une partie porta le gilet jaune en 2018-2019.

Le cas de Montélimar

La capitale du nougat est un cas intéressant. Ville d’environ 40 000 habitants autrefois connue pour les bouchons sans fin sur la Nationale 7, la municipalité a engagé dans les années 1990 un grand plan de transformation : les « allées provençales » plutôt réussi, même en maintenant 2 voies de circulation et des contre-allées de stationnement. Trottoirs agrandis, terrasses pour les cafés et restaurants… mais aussi piétonisation des rues commerçantes du cœur de ville, composé d’indépendants et de quelques enseignes nationales (dont l’incontournable Monoprix). Le marché forain avait gagné une place agréablement aménagée.

Parallèlement, quantité de terrains périphériques ont été bâtis avec des ensembles pavillonnaires ou semi-collectifs, notamment autour de l’avenue de contournement par l’est de la ville, alors que le grand ensemble collectif avait été bâti dans les années 1970 à l’ouest. Les grandes enseignes de distribution ont aussi colonisé les entrées de ville, avec pour conséquence la fragilisation des actions menées dans le centre, handicapé il est vrai par les surfaces limitées et l’état souvent moyen des fonds de commerce et des logements. L’autorisation d’une nouvelle zone commerciale à l’entrée nord de la ville, en 2016, a provoqué la mobilisation des commerçants : à l’époque, le taux de vacance des fonds atteignait déjà 18 %. La requalification du centre a donc été annihilée par la poursuite du schéma extensif fondé sur la voiture, car malgré le renforcement du service des 2 lignes principales d’autobus (fréquences de 20 à 30 minutes en semaine), l’automobile règne en maître dans la ville.

030811_A330degaulle

030811_gare-routiere-de-gaulle

Montélimar - Place Charles de Gaulle - 3 août 2011 - Le petit réseau urbain de Montélimar a bénéficié d'évolutions significatives depuis une quinzaine d'années : les autobus bénéficient d'une jolie livrée et d'un parc moderne (et non plus de reliquats obsolètes) et d'aménagements qui n'ont rien à envier aux villes de plus grande taille. Mais l'autobus reste un mode de transport marginal. L'essor fulgurant des zones commerciales ne favorise pas un urbanisme compact propice à l'usage des transports en commun. © transporturbain

Suite du dossier

Publicité
Publicité
Publicité