Kamianske ou le maintien des tramways dans une ville ukrainienne

Plein centre de Kamianske. L'architecture typiquement stalienne a été déclinée dans toutes les villes de l'Union Soviétique. Globalement, le centre est bien entretenu. Venant du Centre Métallurgique en centre-ville, deux motrices T3 se dirigent vers les faubourgs. (Kamianske - Prospekt Svobody - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)

Kamianske abrite environ 240 000 âmes. Elle a été et reste un important centre sidérurgique et chimique. La construction ferroviaire a longtemps été une activité majeure qui n’a pas disparu. La ville en elle-même n’a rien de touristique quoiqu’une bonne représentation de ce qu’était autrefois les petites cités industrielles soviétiques.

La ville est desservie depuis 1935 par un réseau de quatre lignes de tramways, sur 79 km à écartement de 1524 mm, complété par un réseau d’autobus. Le tramway est à la base des déplacements dans une ville dont la topographie plus ou moins rectangulaire marque l’organisation des lignes qui se rejoignent toutes près du Centre Métallurgique du Dniepr en plein centre.

Quttant le terminus du Centre Métallurgique, une motrice KTM-5 se dirige vers Karnaùkhivka, à l'est de la ville. Les KTM-5, matériel typiquement soviétique, ont été délivrées à plusieurs milliers d'exemplaires. Reprenant des éléments de la technique des Tatra, elles sont robustent mais ne brillent guère par la solidité de leur caisse. Le réseau les entretient au mieux en comparaison de certains autres. Leur confort est acceptable (si la voie est correcte). (Kamianske - Prospekt Svobody - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)

L’exploitation, par une régie municipale, est assurée par une trentaine de motrices (Tatra T3 et T6 et Ust-Katav KTM5 et KTM8). Les quatre lignes sont organisées autour d’un grand axe central depuis le Centre Métallurgique distribuant au fur et à mesure les itinéraires :

• les lignes 1, 2 et 3 terminent au Centre Métallurgique 
• la ligne 4 assure une transversale passant à une centaine de mètres du terminus ci-dessus.

Plan des quatre lignes des tramways de Kamianske. La grande artère centrale distribue les radiales. (Source : https://transphoto.org/)

A l’instar de bon nombre de réseaux ukrainiens, petits ou grands, les infrastructures sont entretenues au mieux des possibilités économiques locales c’est-à-dire : a minima (de notre point de vue occidental) ! Les voies effraieraient les services techniques de tous les réseaux occidentaux. Les exploitants ukrainiens sont nettement moins tatillons et s’organisent pour maintenir coûte que coûte les services aux usagers. Il est vital pour la ville que le réseau de trams fonctionne  pour rejoindre les complexes industriels autant que le centre depuis des faubourgs où la circulation automobile est tout à fait réduite.

Avoir un tramway sous ses fenêtres, quoi de plus commode ? Motrice T6 en service dans les faubourgs de Kamianske. On appréciera la pose très sommaire des voies. La chaussée est à l'avenant, la circulation automobile quasi-inexistante. (Kamianske - Vulitsa Vasylievska - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)

Les installations sont à la soviétique : voies banalisées dans le centre, en accotement ou en site propre à la périphérie. Les appareils de voie fonctionnent lorsqu’ils le veulent bien et sont pour le moins … capricieux ! Il importe peu, les wattmen sortent la barre d’aiguille et la bascule manuellement, c’est une habitude qui ne surprend plus personne. L’alimentation est sous 600 V, la ligne aérienne correcte. Les vitesses moyennes souffrent bien sûr de l’état des voies mais les wattmen n’hésitent pas à lancer leur motrice à plus de 30 km/h là où, en France, on hésiterait à passer le 10 km/h … Il s’en suit de joyeux mouvements de lacets à en perdre parfois l’équilibre même assis ! Mais la sensation est quand même très bonne.

D'aucun diront que ce n'est pas exactement un lieu de vacances ... Mais lorsque l'on aime les paysages industriels, l'Ukraine est incontournable ! Sur fonds d'usines métallurgiques, tracé typique à la soviétique. Les voies sont relativement honnêtes malgré des grincements prononcés dans les courbes et une tendance à l'agitation des bogies. Les T3, excellent matériel s'il en est, arrivent à absorber correctement les chocs. (Kamianske - Prometei - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)

Le parc des motrices est correctement entretenu, selon la moyenne des petits réseaux locaux serait-on même tentés de dire : bien entretenu. Les Tatra T3 et T6 s’adaptent à toutes les situations et les motrices russes KTM5 et KTM8, naturellement plus frustres, tiennent le coup malgré l’état des voies. Le personnel est assez sympathique, réceptif au photographe, voire curieux sur les motivations de celui-ci. Il y a une certaine fierté du métier.

La tarification ukrainienne est assez classique : les locaux bénéficient d’abonnements en tous genres. Il n’y a pas de cartes journalières. Le ticket à l’unité coûte 4 UAH (Hryvnia ukrainienne) soit environ 0,13 €. Compte tenu du niveau de vie local, cela reviendrait à un titre unitaire à 0,80 € environ.

Les réseaux d'Ukraine, à l'instar de ceux de la Russie voisine, ont des arrêts placés dans des endroits imporbables ... Et il y a toujours du monde ! Soit quelques quartiers, soit une usine se cachent non loin. Le trajet est particulièrement bucolique. (Kamianske - Vulitsa Koleusivska - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)

Nonobstant les sensations fortes pour le voyageur et les trajets – disons-le – croustillants, les tramways de Kamianske sont un exemple intéressant. Ce type de réseau, dans l’absolu, pourrait disparaître en se basant sur des critères économiques. La chute de l’URSS, la crise économique et le développement de l’usage de l’automobile – quand bien même Kamianske a-t-elle été un peu épargnée – ont naturellement provoqué une diminution du trafic. Malgré cette situation difficile, le réseau et la ville ont maintenu intégralement le service. Ce choix est vraisemblablement difficile à gérer quotidiennement mais il a un mérite majeur : maintenir un service fiable de transports urbains, chose impossible avec des autobus. Le tramway est populaire, sorte d’icône à laquelle la population est attachée. Il garantit une présence régulière et assez fiable que les habitants usent pleinement.

Nous avons oublié en Europe occidentale combien certains de nos faubourgs de jadis ressemblaient à ceci ... Les tramways viennent du centre environ toutes les dix ou douze minutes, instrument précieux pour la population. Les voies sont posées plus ou moins sans revêtement particulier, sur terre battue. L'entretien étant ce qu'il est, leur régularité terrifierait nos services des voies ! Mais ça passe avec quelques joyeux mouvements de caisse, les Tatra sont adaptées à toutes les situations, même difficiles. (Kamianske - Vulitsa Vasylievska - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)

Dans ce propos, nous voulions illustrer que, malgré les difficultés économiques, sociales, géopolitiques, si une ville et un réseau mettent en commun leurs moyens dans un but de service public, quel que soit le statut de l’exploitant, il s’en suit un effet positif pour les populations locales. Il eut été simple de supprimer le réseau – ce que d’autres villes ont fait ; il n’eut pas été certain qu’une telle suppression eut été bénéfique.

Maintenir une qualité de service et les moyens qui vont avec a un coût mais permet aussi un bénéfice qui le compense largement : celui de maintenir un lien social et économique indéniable, garant de l’activité de la cité.

Tank sur rails ! Les motrice KTM-8 ne sont pas précisément des parangons d'élégance. D'inspiration technique Tatra, ces motrices construites par Ust-Katav l'ont été à plusieurs centaines d'exemplaires. Robustes mais frustres, elles sont assez bien adaptées aux conditions difficiles de l'exploitation des réseaux locaux. Elles sont assez bruyantes. Les portes coulissantes sont entrainées pas un système de moteurs dont le bruit rappelle celui d'un gros moulin à café ...  (Kamianske - Prospekt Konstytutsii - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)

Bucolisme et industrie, un mariage improbable ? Quoique ... Prendre cette photo fut une partie de plaisir dans les orties ... La wattwoman un peu surprise ralentit avec un grand sourire. Elle repartit d'un signe de la main. Les phtographes de transports urbains sont une catégorie bien acceptée en Ukraine comme dans beaucoup d'autres pays européens. (Kamianske - Vulitsa Koleusivska - 14 juin 2018 - © Thierry ASSA)