Lyon : des régressions inédites pour les transports en commun
Voici donc l'autre facette. Pas franchement réjouissante.
A Lyon, il n'y a pas que de bonnes nouvelles... Cette fois, c'est un coup de massue pour les transports en commun lyonnais. La Ville de Lyon et la Métropole ont décidé de chasser purement et simplement les transports en commun de surface sur la section Cordeliers - Hôtel de Ville - Terreaux ! C'est surréaliste !
- C3 passera dans les deux sens par la rue Grenette pour rejoindre la Saône, avec emprunt du pont Maréchal Juin vers la gare Saint-Paul et du pont La Feuillée direction Vaulx-en-Velin : elle perd donc sa correspondance avec la ligne C du métro ;
- C13 devra elle aussi faire le détour en franchissant 2 fois la Saône pour rejoindre son itinéraire à partir de la place Tobie Robatel : même punition, même si on rappelle que la ligne C13 monte aussi à la Croix Rousse ;
- C18 et 19 seraient limitées à Saint-Paul ou éventuellement aux Cordeliers pour la première : pour la ligne 19, c'est la perte de toute correspondance avec la ligne A ou la ligne C !
- S6 serait probablement limitée place Tobie Robatel.
Conséquence, la station Hôtel de Ville du métro serait privée de toute correspondance (le SYTRAL en dénombre 5700 par jour). La connexion entre la ligne C et les lignes de bus impliquerait soit de rejoindre les quais de Saône, soit les arrêts situés place des Cordeliers. En outre, le tracé pour le moins tourmenté de C13 par les quais de Saône risque de faire perdre du temps : les trolleybus devront franchir 6 carrefours à feu sur le nouveau parcours alors qu'il n'y en qu'un seul sur l'actuel !
Lyon - Rue de la République - 4 septembre 2019 - L'arrêt Hôtel de Ville à l'extrémité nord de cette rue où toute circulation de transit d'automobile a été éliminée en 1974. La correspondance métro - bus est utilisée par au moins 5700 voyageurs par jour soit un peu plus de 10 % de la fréquentation totale de la station de correspondance entre les lignes A et C. Avec le projet de la Ville, plus aucun transport en commun en surface ! © transporturbain
Lyon - Rue de la République - 16 décembre 2018 - Sans aller jusqu'à éliminer totalement la circulation des autobus, il aurait probablement été possible d'agrandir encore un peu les trottoirs sans nuire à l'exploitation de lignes pas vraiment secondaires qui l'empruntent... sans compter qu'il faut aussi prendre en compte les livraisons des commerces sur la rue et dans les perpendiculaires. © transporturbain
Lyon - Rue de l'Arbre Sec - 7 mai 2017 - Cette petite rue accueille le terminus des trolleybus C18 et S6, ainsi que la ligne C13 quand elle était scindée, ou lors de travaux et manifestations. S'il est vrai que cela occupe de l'espace, c'est une contingence liée à l'organisation d'un service public de transport qui essaie de desservir au mieux les principaux points de convergence des citadins. © transporturbain
Pour ce secteur, les modifications annoncées constituent une régression considérable de la commodité du service, concernant directement les lignes parmi les plus utilisées du réseau. Comme dans les années 1930 à 1970, les transports en commun sont perçus comme un intrus. Que ce soit pour favoriser la voiture, comme ce fut le cas par le passé, ou aujourd'hui pour des motifs qui restent à notre sens confus sur la forme et hypocrites sur le fond, les mécanismes demeurent les mêmes.
Plus au sud, place Bellecour, l'objectif est d'éliminer toute circulation sur le flanc nord de la place. Les correspondances seront elles aussi dégradées puisque les lignes arrivant côté Saône feront terminus sur son flanc ouest, imposant la traversée de la place pour rejoindre les lignes situées côté Charité / Antonin Poncet. Evidemment, la correspondance avec le métro sera dégradée puisque l'accès le plus proche se situe au milieu de la place, près de la rue Victor Hugo.
Lyon - Place Bellecour - 21 décembre 2020 - La chaussée Est de la place Bellecour accueille d'un côté les lignes C20 vers Francheville et 40 vers Neuville et de l'autre les lignes C9 arrivant du pôle hospitalier Lyon Est et C12 arrivant de Vénissieux. Les deux premières seront reportées de l'autre côté de la place, revenant à un principe d'éparpillement des terminus qui avait été supprimé en 1991 : C20 et 40 seraient positionnés à l'endroit où jadis le 5 effectuait son terminus (pour les plus anciens), qui accueilla ensuite le passage du 44 en direction des Sources et le terminus du 11 (pour nos lecteurs au moins quadragénaires). © transporturbain
On voit ainsi se mettre en oeuvre la démonstration que les transports en commun peuvent aussi être victimes de politiques dogmatiques, englobant les bus dans l'objectif de réduire la circulation individuelle motorisée.
Toujours à Lyon, le projet de réaménagement des cours Gambetta et Albert Thomas (au-dessus de la ligne D entre le Rhône et Grange Blanche) posera problème car plusieurs lignes, et non des moindres, risquent d'en pâtir. Avec une seule voie de circulation en direction du Rhône, les lignes C7 (Part-Dieu - Hôpitaux Sud), C11 (Saxe-Gambetta - Laurent Bonnevay), C12 (Bellecour - Hôpital Feyzin-Vénissieux), C16 (Charpennes - Surville) et C25 (Part-Dieu - Saint Priest) seront pénalisées lorsqu'elles empruntent cette artère puisque le couloir récemment matérialisé en direction du Rhône sera supprimé. Une piste cyclable sera installée à l'emplacement actuel du couloir à contresens.
Lyon - Place Gabriel Péri - 7 avril 2012 - La ligne 23 Cordeliers - Parilly a disparu. Le nouvel aménagement prévoit d'installer la piste cyclable sur le couloir de bus. A l'époque de ce cliché, le couloir dans le sens de la circulation n'avait pas encore été réalisé. Dommage pour l'importante ligne C12 qui devra être à nouveau mélangée à la circulation générale pour arriver place Bellecour ! Moralité : en voulant faire de la place pour les vélos, les solutions retenues pénalisent aussi les transports en commun de surface, qui précisément viennent épauler le métro sur l'une des sections les plus chargées (Bellecour - Saxe-Gambetta sur la ligne D). © transporturbain
Sous couvert de ne pas être motorisé, le transport individuel s'accapare donc des espaces qui avaient été accordés au service public de transport en commun. C'est inacceptable... et la réaction des élus de la Métropole comme de la Ville, balayant d'un revers de main des arguments plutôt fondés, émanant selon eux d'opinions rétrogrades, l'est tout autant !
Pas de ZFE ni de ZTL sans bons transports en commun !
Condamné en 2017 pour inaction en matière de transition écologique, l'Etat ne cesse de trainer les pieds : le délai de 3 ans accordé par le Conseil d'Etat a expiré sans mesure concrète, amenant cette institution à prononcer une sanction financière de 10 M€ par semestre d'inaction, portée à 20 M€ l'été dernier. La loi Climat et Résilience a été adoptée à l'été 2021 et reste de portée très insuffisante : elle se cantonne à l'incitation à l'achat de véhicules électriques (voitures et vélos), à l'interdiction des vols intérieurs sur un trajet de moins de 2h30 en train, au développement de la formation à l'écoconduite et à l'instauration de Zones à Faibles Emissions en milieu urbain. C'est assez léger, non ?
Ces dernières seront obligatoires pour toute agglomération d'au moins 150 000 habitants à compter de 2025, soit 43 ZFE. Actuellement, 4 existent et 7 sont en cours d'élaboration. Pour l'instant, ces zones ne sont qu'incitatives, mais l'Etat prévoit l'installation de nouveaux radars adaptés pour verbaliser les véhicules ne répondant pas aux critères d'émission (amende prévue : 68 €).
Cette mesure s'inscrit dans une forme de continuité d'orientations pas vraiment favorables aux transports en commun. Pour résumer, la ZFE crée une barrière technologique sur un seuil d'émissions des motorisations pour tendre vers la voiture électrique, sans remettre en question l'usage et les effets de congestion. Elle peut aussi créer une barrière sociologique selon la capacité des ménages à pouvoir disposer d'un véhicule autorisé.
Il existe une autre forme de restriction, la Zone à Trafic Limité, qui sélectionne par l'usage (en excluant les flux de transit et les non-résidents), mais qui sont parfois assimilées au principe du péage urbain : ce n'est cependant pas automatique.
Le nouveau dossier de transporturbain tente une analyse sur ce thème et rappelle que les bons leviers de réduction de la dépendance à la voiture sont déjà connus de longue date et ont déjà commencé à être mis en oeuvre par nombre de collectivités : améliorer les transports en commun, les coordonner entre eux (y compris les modes individuels), les intégrer à des politiques d'urbanisme durable fondées sur une maîtrise de l'étalement urbain et une planification coordonnée rendant naturelle l'usage de ces réseaux.
Finalement, ne serait-on pas en train de confondre - à dessein - le gâteau (planification coordonnée transport - urbanisme) avec la cerise (les mesures de restrictions de circulation des voitures particulières) ? D'oublier de nombreux facteurs (la congestion par exemple), voire provoquer des clivages sociologiques, selon la capacité des ménages à éviter d'aller toujours plus loin trouver un logement compatible avec leurs revenus, et donc dépendre de plus en plus de la voiture qui leur est pour partie inaccessible, du fait du coût d'acquisition d'un modèle électrique, malgré le fort soutien gouvernemental à cette filière ?
Mais il est vrai que cet axe finalement très classique d'évolution des villes suppose d'importants investissements et des choix politiques forts, y compris contre des acteurs (pas seulement économiques) à fort pouvoir de pression sur les élus locaux et nationaux...