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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Tramways de Strasbourg : première époque (1877-1960)

Après Nantes, Strasbourg a joué un rôle majeur dans la renaissance du tramway en France et il n’est pas exagéré de partager entre ces deux villes le titre de capitale de ce mode de transport. Nantes a réintroduit le système dans le développement urbain. Strasbourg l’a assurément propulsé avec une démarche de planification et d’intégration qui fait encore aujourd’hui référence. C’est aujourd’hui le seul réseau appliquant le principe du maillage afin de proposer plusieurs destinations directes depuis une même station, ce qui permet de délester les itinéraires centraux, notamment depuis la création d’une ligne de rocade se jouant des raccordements entre les différentes radiales.

Des origines impériales

L’essor industriel de Strasbourg et de la plaine d’Alsace avait amorcé la croissance de la population et la nécessité d’un service de transport public d’abord assuré à compter de 1848 par omnibus hippomobiles entre le centre ancien et les faubourgs naissants. Néanmoins, les extensions successives, y compris en rive droite à Kehl, rendaient le service peu attractif du fait de sa lenteur.

Après la guerre de 1870, une ordonnance impériale concédait le 5 avril 1877 un réseau à voie normale à la Compagnie Générale de tramways hippomobiles strasbourgeois, dont la première ligne était mise en service le 22 juillet 1878 entre la porte de Pierre et le pont de Kehl via la place Kléber. Le succès de l’exploitation emportait les premiers prolongements à Hoenheim, Koenigshoffen puis Wolfisheim, Robertsau, Neudorf et Neuhof, réalisés entre 1880 et 1885. Compte tenu de la longueur des lignes au travers des faubourgs vers les communes voisines, l’exploitation était assurée par des locomotives à vapeur Winterthur mais les chevaux reprenaient les voitures dans l’enceinte des fortifications.

L’administration de l’Alsace-Moselle attribuait en 1886 une seconde concession pour un réseau suburbain : l’essor industriel, facilité par la combinaison du chemin de fer et de la navigation sur le Rhin, justifiait la mise en place de dessertes plus éloignées pour amener la main d’œuvre dans les usines strasbourgeoises. En 1886,  une première ligne de 54 km rejoignait Marckolsheim. Au-delà, les Chemins de Fer d’Alsace-Lorraine établissaient une ligne à voie métrique rejoignant Colmar. Un embranchement desservant Erstein et son importante sucrerie était également réalisé sur 19 km.

Une deuxième atteignait Truchstersheim en 1887, à 15 km de Strasbourg, puis une troisième en 1908Westhoffen à 27 km. Ce réseau devait se déployer également en rive droite et connaître des développements très importants : le passage du pont de Kehl en 1892 permit d’amorcer le réseau rayonnant vers Schwarzach, Buhl, Offenburg et Lahr-Dinglingen, où une exploitation commune était assurée par la CTS sur le réseau urbain de cette ville.

Etabli à voie métrique alors que le réseau urbain était à écartement normal, la ville décidait de moderniser et surtout de rationaliser les deux réseaux. Cependant, en vue de l’exposition industrielle de 1895, elle lançait d’abord l’électrification du réseau urbain, confiée à AEG et réalisée en un temps record. Les trois premières lignes Gare – Austerlitz, Kléber – Porte de Pierre et Kléber – Robertsau étaient prêtes à temps et dotées de 14 motrices à fil aérien. AEG devenait l’actionnaire majoritaire de la compagnie en 1897.

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Strasbourg - Place de la gare - Avant 1910 - Matériel électrique primitif avec des motrices à faible empattement, tractant deux remorques à plateformes ouvertes. Un matériel de confort assez frustre dans une ville au climat parfois très rude...

Ensuite, en 1898-1899, le réseau urbain fut converti à l’écartement métrique par cohérence avec le réseau suburbain. Il s’agissait en outre de préparer l’interconnexion avec le réseau badois. Cette opération accéléra le développement du réseau durant une décennie entière. En point d’orgue, l’achèvement de la ligne de ceinture en centre-ville en 1913 parachevait le maillage central.

Néanmoins, la traction vapeur restait présente sur les lignes suburbaines et donc dans les faubourgs strasbourgeois.

A la veille de la première guerre mondiale, le réseau était desservi par 116 motrices AEG, MAN et Herbrand auxquelles s’ajoutaient les motrices primitives transformées, un parc de 85 remorques ouvertes et 65 fermées, tandis que le réseau suburbain était assuré par 35 motrices et 73 remorques. Les plateformes n’étaient pas encore vestibulées mais dotées d’un pare-brise pour protéger le personnel et les voyageurs.

En 1912, la ville entrait au capital de la compagnie, qui se transformait en société d’économie mixte, afin de mieux contrôler son fonctionnement. La participation de la ville fut même accrue en 1918, lorsque l’Alsace et la Moselle redevinrent françaises, avec le rachat des parts de l’Omnium Berlinois.

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Rue du Vieux Marché aux Vins, sur cette carte postale datant manifestement d'avant 1914, une motrice tracte une balladeuse en direction de la place de l'homme de fer. Les tramways contemporains passent dans la même rue.

Le premier réseau de la CTS

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Strasbourg - Place Kléber - Avant 1914 - De la verdure sur la place centrale de Strasbourg. Le tramway s'engage dans la rue des Arcades. Les actuels tramways sont de l'autre côté, en arrière-plan.

La frontière sur le Rhin entraîna le partage du réseau : les 95 km suburbains situés en rive droite furent abandonnés à l’administration allemande et la Compagnie des Tramways de Strasbourg engagea de nouvelles sections urbaines pour amplifier le maillage, tout en récupérant la partie française du réseau suburbain. Le matériel était amélioré avec le remplacement des moteurs pour augmenter la puissance, l’introduction du freinage rhéostatique et l’acquisition de nouvelles voitures. Jusqu’en 1938, 72 motrices furent livrées principalement par De Dietrich et Carel-et-Fouché, ainsi que 26 remorques. La longueur du réseau urbain atteignait 83 km. Le dépôt primitif des Bonnes Gens était remplacé par un site plus vaste à Cronenbourg, gérant 143 motrices et 222 remorques.

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Strasbourg - Place Gutenberg - Vers 1925 - Une composition à deux remorques dans le coeur de Strasbourg, à quelques pas de la cathédrale. Le tramway s'impose naturellement dans son environnement. L'actuelle place est également moins végétalisée...

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Strasbourg - Pont des Vosges - Vers 1920 - Deux motrices se croisent sur l'un des nombreux ponts de la ville franchissant un bras de l'Ill. En arrière-plan, le pont d'Auvergne sur lequel passent les lignes C, E et F de l'actuel réseau.

Le renouvellement des voies dota le réseau strasbourgeois d'excellentes infrastructures. La CTS mit au point de nouveaux outils pour faciliter l'exploitation, comme ce poste d'aiguillages à commande électrique place de l'Etoile pour faciliter la gestion d'un important carrefour du réseau. En 1926, ce dispositif était assez novateur, évitant aux wattmen d'avoir à sortir le sabre pour manoeuvrer les aiguillages.

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Autre vue du premier réseau, cette fois entre les deux guerres avant la modernisation du matériel puisque les motrices ne sont pas encore vestibulées. La voie métrique permettait aux tramways de circuler dans un centre ancien y compris sur des tracés sinueux.

De son côté, le réseau suburbain français, long de 105 km, était confié au Département qui l’électrifiait en 1924. Une nouvelle ligne de 19 km vers Ottrott était mise en service le 16 janvier 1930, apogée du réseau vicinal avec 130 km d’infrastructures.

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Entre Westhoffen et Marlenheim - 1926 - Quand le tramway se fait chemin de fer suburbain. La ligne de Westhoffen ouverte en 1908 était l'une desservait des régions encore rurales. La composition est quelque peu bigarrée et le convoi ne devait pas aller bien vite avec ces 3 remorques. En revanche, poteaux bétons, voie bien tracée en site propre : la réalisation était soignée. (cliché X)

Néanmoins, le réseau avait atteint son apogée et les nouveaux développements vers des quartiers moins denses ou des lignes à trafic limité suscitèrent l’apparition des premiers autobus en 1930. Les véhicules routiers intéressaient la CTS qui essaya le convoi formé d’un autobus Renault et d’une remorque Scémia. Le 27 mai 1939, une première ligne de trolleybus ouvrait entre Roettig et Ostwald.

L’augmentation du trafic et la densité de tramways dans le centre-ville, notamment autour de la place Kléber, suscita la réorganisation de mai 1937 en créant des diamétrales à double indice afin d’améliorer la lisibilité du réseau et surtout simplifiant l’exploitation centrale. En revanche, la percée des autocars affectait le réseau suburbain qui connaissait ses premières contractions.

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Strasbourg - Place Kléber - Vers 1935 - En comparant avec une autre carte postale plus haut dans ce dossier, la place a bien changé : la végétation a été éliminée pour transformer le site en parking ! Il faut dégager l'espace au profit de la voiture et déjà, le tramway est considéré comme un gêneur.

Le réseau fut mobilisé en 1939 lorsqu’il fallut évacuer la population civile, revenant progressivement après l’armistice. La seconde guerre mondiale provoquait par les restrictions une explosion du trafic, avec 71 millions de voyageurs en 1943 contre 55 en 1930.

1953-09-20 - Erstein - Gare

Erstein - 20 septembre 1954 - Croisement de deux motrices 500 portant la livrée suburbaine : le tramway ne risquait pas de gêner le trafic routier puisqu'il circulait en accotement de voirie... © J. Bazin

1954-09-24 - Sb - Tuilerie

Strasbourg - Place du Corbeau - 24 septembre 1954 - Ambiance typiquement d'après-guerre à Strasbourg : on notera d'abord en arrière-plan la grue et l'immeuble en reconstruction pour panser les plaies de la guerre, puis la circulation automobile clairsemée avec notamment une Renault 4CV, et l'agent de police faisant la circulation au carrefour de la rue du Vieux Marché aux Poissons (duquel sort le tramway) et du quai Saint Nicolas. © J. Bazin

1955-08-29 - Wolfisheim

Wolfisheim - 29 août 1955 - Cette commune de l'ouest strasbourgeois est bien paisible par cette journée d'été. La motrice 167 assure en solo le service de la ligne 12 en direction du Pont d'Anvers. © J. Bazin

Lourdement touché par les bombardements, la reconstruction du réseau fut cependant réalisée rapidement et permit la reprise de l’exploitation sur la quasi-totalité des lignes. Néanmoins, l’heure n’était plus au développement du tramway pour les élus locaux, alors que la CTS observe ce qui se passe en Suisse et en Allemagne avec l’apparition de matériels modernes. Le 29 mai 1947, deux lignes de trolleybus sont mises en service pour la desserte du Quartier des Quinze et d’Oberhausbergen. La ceinture fut convertie en deux étapes en 1949 et 1950, marquant le début du recul du tramway. L’amélioration des véhicules routiers accéléra le processus avec d’abord la conversion du réseau suburbain menée entre 1953 et 1955, puis celle du réseau urbain entre 1954 et 1960, au gré des livraisons d’autobus Chausson et Somua. Le 30 avril 1960, le dernier service commercial rentrait au dépôt. La Ville, fière d’avoir suivi le mouvement général de suppression des tramways, procédait même à une cérémonie publique rassemblant 100 000 personnes, avec un cortège funèbre en traction vapeur.

1954-09-25 - Otrot

Otrott - 25 septembre 1954 - Devant la gare, cohabitation entre le tramway suburbain, qui compta parmi les lignes les plus modernes de France, et celui qui n'allait pas tarder de lui succéder : l'autocar, avec ici un Chausson APH. © J. Bazin

Reportage muet des actualités régionales du 14 avril 1958 sur la circulation des autobus et des derniers tramways.

On rappellera tout de même cette anecdote. La construction des motrices PCC du réseau de Saint Etienne fut assurée par les Ateliers de Strasbourg. La CFVE proposa l’essai des motrices sur le réseau alsacien, tous deux étant à voie métrique. Le maire de Strasbourg, Pierre Pflimlin, éphémère Président du Conseil pendant deux semaines en mai 1958, s’y opposa formellement, ne tolérant pas la perturbation de l’image obsolète du tramway.

1955-08-30 - Sb - Bischeim

Bischheim - 30 août 1955 - Ambiance estivale et circulation des plus limitées dans les ruesd de Bischheim. La motrice 162 et sa remorque vont traverser Strasbourg pour rejoindre le terminus du Polygone dans le quartier du Neudorf. © J. Bazin

1953-09-21 - Neudorf - Polygone

Strasbourg Neudorf - 21 septembre 1953 - Le terminus du Polygone avec cette rame de la ligne 4 dans un environnement méconnaissable aujourd'hui. L'actuelle ligne C du tramway pourrait y être prolongée dans les prochaines années. © J. Bazin

Vers le tramway de Strasbourg depuis 1994

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