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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Standardisation et augmentation de capacité des tramways

L'enjeu de la standardisation

La motrice PCC était révolutionnaire à bien des égards, mais elle n’avait pas réellement progressé sur la question capacitaire par rapport aux Peter Witt. Elle n'était pas couplable en unité multiple, et il n'était pas prévu de l'associer à des remorques. Pour gérer la hausse de la fréquentation des réseaux, il fallait donc augmenter les fréquences, et donc les coûts d’exploitation. En revanche, ces deux matériels avaient assez nettement réduit la masse des tramways, entre 15 et 19 tonnes pour une voiture de 13 à 15 m.

Afin de réduire les coûts de possession, il fallait aussi amplifier le mouvement amorcé avec ces motrices qui s'était ainsi amorcé avec la standardisation du matériel.

En Suisse, la quête de légèreté avait donné naissance à la motrice normalisée, issue de réflexions développées à Zurich dès 1930 en s’inspirant des évolutions apportées par les Peter Witt, les PCC et les 500 lilloises. Un premier prototype fut présenté par Brown-Boveri et Schlieren en 1940, adoptant la roue élastique, mais avec des équipements de traction encore assez classiques, et surtout une forte présence de l’électropneumatique (portes, emmarchement, frein), avec une puissance de 200 kW pour tracter une remorque. Les normalisées assurèrent le début du renouvellement des parcs des principaux réseaux comme Bâle, Zurich et Genève.

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Zurich - Holstrasse - Décembre 1975 - Surnommées localement Brochets à cause de leur allure effilée ou Pédaliers en raison de leurs commandes au pied, les normalisées zurichoises ont incarné la modernité du tramway après-guerre au point que plusieurs réseaux français avaient envisagé leur acquisition dans les dernières tentatives de maintien des réseaux. © A. Knoerr

L’Allemagne avait en revanche pris un retard assez conséquent dans les années 1930. Durant la guerre, 300 motrices de guerre dites KSW (Kriegstrassenbahnwagen) avaient été mises en production, avec des caisses métalliques de faible longueur sur des trucks à empattement court, tractant des remorques hétéroclites.

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Augsburg - 1963 - Le retard pris par l'industrie allemande est illustré par cette motrice KSW : caisse de faibles dimensions, truck à empattement court, remorques, absence de réversibilité et pas moins de 4 agents pour ce convoi. © J.H. Manara

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Halbertstadt - 29 octobre 2012 - Un convoi formé d'une motrice et d'une remorque type Reko (diminutif de Rekonstruktion strassenbahnwagen sur le réseau de Halbertstadt, préservé par le réseau local à des fins muséographiques. En dépit d'une allure un peu plus moderne, ce matériel demeurait de conception rustique, reposant toujours sur un truck à deux essieux. © A. Knoerr

A partir de 1951, l’Allemagne de l’ouest amorce un tournant et développe de nouvelles motrices reposant sur un bogie de plus forte puissance afin d’améliorer les conditions de circulation d’ensembles motrice + remorques : les Grossraumwagen amorce une évolution du tramway au cours de la reconstruction des réseaux germaniques. Cinq ans plus tard, les premières motrices articulées à 2 caisses reposant sur 3 bogies firent leur apparition sur les réseaux de Dusseldorf, Bochum et Gelsenkirchen.

En Europe centrale, les Tatra reprenaient les principes des PCC, par la longueur des caisses, le bogie et la chaîne de traction, et en apportant la couplabilité pour augmenter la capacité.

Les Stanga, premières rames articulées modernes ?

L'association motrice + remorque présentait l'inconvénient de nécessiter pour l'exploitation au moins 3 agents : un conducteur et un receveur par véhicule. Les motrices de grande longueur cherchait à remplacer ces formations, mais la tâche était vaste et se posaient d'évidentes questions de gabarit.

En 1940, un premier prototype était réalisé en Italie pour le réseau de Rome, détruit lors du bombardement du 19 juillet 1943. La rame avait fait ses preuves et d'autres réseaux s'intéressaient à cette formule compatible avec une exploitation à 2 agents. Dès 1942, Gênes et Milan étudièrent de telles motrices avec des prototypes, souvent de fabrication locale, comme les 4 rames série 4500 milanaises. La série 4600/4700 livrée à Milan à partir de 1955 par Breda et Stanga, déclinée ensuite sur les autres réseaux italiens, constituait un grand pas en avant : avec une caisse de 19,8 m et 175 places, elles pouvaient remplacer des convois de 3 voitures, avec de surcroît de bien meilleures performances et, évidemment, un plus grand confort pour les voyageurs.

« Deux pièces cuisine » ou l'art d'accommoder les restes à peu de frais

Les réseaux allaient aussi faire preuve d'imagination et adapter le matériel dont ils disposaient déjà, pour moderniser le parc à moindres frais. La méthode réunissait 2 motrices anciennes recarrossées, par une nacelle suspendue : une disposition surnommée « deux pièces cuisine » ne pouvant cacher l’âge de conception ni le caractère précaire des solutions retenues. Les premières rames de ce type étaient apparues aux Etats-Unis dès 1905 à Boston. En Europe, ces formations arrivèrent dès milieu des années 1930 et les dernières réalisations furent réceptionnées au milieu des années 1960. Parmi les formules les plus abouties, car les plus tardives (1963), la série 4000 de Bruxelles, où l'arrivée des PCC avait donné un bon coup de vieux aux Standards.

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Bruxelles - 29 octobre 1966 - Recette bruxelloise : prenez deux châssis Standard, réunissez-les par une courte caisse centrale portée, et montez sur l'ensemble une caisse d'allure un peu plus moderne inspirée du summum du réseau à l'époque, les PCC, et vous obtenez un tramway articulé à peu de frais. En revanche, le roulement reste du niveau d'un truck à essieux à empattement court... © M. Reps

La saga des motrices Düwag

Les usines Düwag tirèrent profit de l’expérience des Graussraumwagen pour développer un modèle standardisé de tramway de grande capacité, permettant d’accélérer le service et de réduire les frais de personnel à bord. Dès 1957, le type 3 caisses sur 4 bogies provoqua l’arrêt de la production de tramways courts. Düwag plancha sur la standardisation de ses tramways en différentes longueurs et gabarits, proposa des modèles mono ou bidirectionnels selon la configuration des terminus et définit auprès de l’industrie électrique les chaînes de traction : Kiepe, Siemens, AEG et Brown-Boveri furent donc contraints de limiter leurs recherches afin de répondre aux attentes de rationalisation des parcs.

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Munich - Effnerplatz - Mai 1984 - Deux des matériels les plus représentatifs des matériels d'après-guerre à Munich : une motrice à trois essieux à gauche tractant une remorque et une rame articulée Rathgeber à droite, soit deux variantes permettant d'accroître la capacité de transport. © A. Knoerr

La motrice Düwag n’était pas aussi performante que la PCC car elle n’était pas à adhérence totale, mais le résultat était tout de même en net progression par rapport aux matériels des années 1920. D’autre part, les villes allemandes engageaient progressivement une politique d’aménagement des lignes de tramways en les séparant de la circulation automobile pour accroître leur vitesse commerciale, ce qui atténuait le besoin de puissance. Düwag produit ainsi 1355 motrices de 1956 à 1975 et accorda une licence à SGP pour les besoins des réseaux autrichiens, notamment Vienne et Graz.

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Vienne - Wiednergurtel - 10 mai 2015 - Les motrices type E et E2 de Vienne déclinent les concepts développés en Allemagne par Duwag. Le convoi ici photographié près de la gare centrale est composé d'une rame E2 et d'une remorque. © ortferroviaire

L’aboutissement de la motrice Düwag apparut sur la Rhein-Hardt-Bahn, avec des motrices à 5 caisses, livrées alors que nombre de réseaux européens avaient disparu et dans un contexte très propice au métro et aux technologies diverses (monorail et autres modules automatisés). Düwag sut aussi s’adapter à des demandes spécifiques, comme à Freiburg, qui demandait des voitures à 3 caisses sur 4 bogies, dont 2 regroupés sous la caisse centrale afin de bénéficier d’une adhérence totale.

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Mannheim - 12 mars 1981 - Les rames Duwag à 5 caisses ont suscité l'admiration des amateurs - et d'une partie des professionnels - à leur sortie au milieu des années 1970 car il s'agissait à l'époque des plus longs tramways du monde. Les GT12 circulaient sur le réseau interurbain de la Rhein-Hardt-Bahn. © A. Knoerr

Les alternatives en Allemagne furent assez limitées, à l’exception des Rathgerber à Munich et des Esslingen à Stuttgart, motrice articulée à 2 caisses sur 2 bogies seulement.

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Stuttgart - 1975 - Les GT4 ont constitué l'autre famille de tramways en Allemagne de l'ouest dans les années 1960 et 1970. Ici ce couplage circule dans le centre de Stuttgart, dans une rue réservée aux transports en commun, ce qui était encore rare à l'époque. © J.H. Manara

En Suisse, Zurich reçut à partir de 1966 de nouvelles motrices Mirage à 3 caisses et 3 bogies, accompagnées de motrices sans poste de conduite afin de maintenir la puissance massique malgré le renfort de capacité.

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Zurich - Juin 1998 - Les morices articulées 3 caisses type Mirage ont circulé durant près de 50 ans sur le réseau zurichois. Couplables, ce type de convoi était capable de transporter près de 300 voyageurs, favorisant l'usage du transport public dans une ville mettant alors progressivement en place des mesures d'endiguement du trafic automobile. © A. Knoerr

Les belges inventent finalement la PCC articulée 

La « filière belge » développa sur la technologie PCC de nouvelles motrices articulés, d’abord à 2 caisses pour Bruxelles et Saint Etienne mais en renonçant à l’adhérence totale, qui fit son retour avec les PCC triples de Bruxelles en 1977 (en réalité composées de 2 motrices indépendantes couplées). Champ du cygne de la technologie PCC, La Haye construisit de nouvelles motrices à 3 caisses reposant sur des bogies PCC recyclés et reconditionnés, donnant naissance à un excellent matériel pour l’époque.

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Ixelles - Place Saint Pierre - 25 mars 2012 - Aboutissement de la filière belge des PCC, les 7900 à trois caisses sont constituées de deux motrices électriquement indépendantes. Leur grande capacité a été notamment mise à profit avec les développements du prémétro. Elles constituent la version le plus confortable de cette dynastie de tramways bruxellois, toujours en service. © ortferroviaire

Même chose de l'autre côté du rideau de fer, puisque Tatra développa aussi des motrices articulées pour les réseaux du COMECON, avec les KT2 à KT8 dont les dernières productions arrivèrent au début des années 1980 par exemple à Berlin-Est. On notera enfin à titre d’exception les motrices Ganz à 3 caisses du réseau de Budapest pour la ligne de ceinture, proposant une capacité de 500 places en unité multiple, et une capacité horaire de 20 000 places par heure grâce à un intervalle de 85 secondes !

L’arrivée à partir de 1976 des motrices type 2000 à Bâle, Zurich et à Neuchâtel, des PCC triples en 1977 à Bruxelles et des Jumbotram à Milan en 1979, mais aussi des KT8 Tatra constitua le parachèvement de la quête de capacité sur les tramways européens, bénéficiant de surcroît d’améliorations techniques notables comme l’introduction de l’électronique de puissance qui permettait d’alléger le matériel tout en améliorant ses performances. Les 2000 suisses furent même déclinées en motrices simples, permettant de moduler les compositions selon les heures ou les lignes. Les motrices articulées reçurent ensuite une troisième caisse pour augmenter la capacité et proposer un accès surbaissé.

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