Reconversions roumaines
Cluj-Napoca - Boulevard du 21 décembre 1989 - 17 mai 2014 - Les SC10R parisiens circulent toujours près de 30 ans après leur sortie d'usine... et 55 ans après leur conception. © Th. Assa
Entrer dans la « légende »
Chaque période de l'histoire de nos transports urbains a connu un ou plusieurs véhicules marquants. L'omnibus hippomobile est resté dans les mémoires de trois générations ; les longs convois des tramways de la TCRP ont longtemps été l'image du défunt tramway parisien ; le Sprague est encore le symbole du Métro de la capitale. A l'étranger, le Routemaster londonien ou les tramways à impériale de Hong Kong sont des incontournables.
Récemment, les réseaux français ont été marqué par deux véhicules qui deviennent progressivement des espèces de mythe : le SC10 et le PR100 et son dérivée trolleybus, l'ER100. Si ces voitures ont marqué leur temps, le premier ayant permis la modernisation radicale des réseaux, le second donnant l'image moderne des autobus des années 1970 avec l'ER100 qui a permis de sauver ce qui restait des réseaux électriques de ces mêmes années, le temps les a aussi marqué. Autre exemple plus récent, le R312 qui tend à entrer dans le panthéon des mythes, qu'il ne mérite d'ailleurs pas, tant cette voiture est un avatar inachevé et raté des autobus surbaissés qui suivront quelques années plus tard.
Soyons justes : tant le SC10 que le PR100, le R312 et l'ER100 sont, aujourd'hui, totalement démodés. Largement dépassés par les générations modernes de Citelis ou de Swisstrolley, plus personne en France n'accepterait d'être transporté quotidiennement en SC10 ou en ER100. Néanmoins, ces véhicules réussis en leur temps avaient un indéniable avantage : leur robustesse et leur fiabilité (du moins pour les SC10 et les ER100.
La reconversion : une pratique courante
De tous temps, les tramways, les trolleybus ou les autobus ont, en partie, fait l'objet de revente, de transferts d'un réseau à l'autre. De première main à deuxième main, voire troisième main, certaines séries ont eu la vie longue. On se souvient qu'une petite série de motrices L parisiennes ont terminé leur carrière à Rouen ; que des dizaines de motrices des tramways allemands, suisses, néerlandais et autrichiens ont été envoyés après 1989 qui en Roumanie, qui en Bosnie, ou encore en Pologne voire en Russie. En son temps, autour de 1960, le réseau moribond de Washington a revendu quelques dizaines de motrices PCC au réseau de Barcelone. Du côté des trolleybus, la Suisse a été un fournisseur de voitures d'occasion de même que la Tchécoslovaquie.
Signalons aussi la vie agitée des Routemaster londoniens dont plusieurs dizaines sont préservées par des particuliers, espèce de vie éternelle à défaut d'être considérée comme une seconde vie !
La France n'est pas restée en retrait de ce mouvement. Les SC10, les PR100, les R312 et les ER100, fabriqués à plusieurs milliers d'exemplaires, ont été l'objet d'un marché de revente par les réseaux nationaux afin d'aider à bon compte les exploitants de pays de l'ancien COMECON (le marché commun des pays soviétiques) dont les réseaux sortaient exsangues de plusieurs décennies d'entretien médiocre.
Cluj-Napoca - Piaça Gârii - 17 mai 2014 - Un R312 parisien devant la gare : successeurs du SC10, seront-ils assez résistants pour prendre durablement la relève ? L'introduction de l'électronique rend déjà ces véhicules de technologie dépassée par rapport aux véhicules modernes produits notamment par Astra Bus. © Th. Assa
Ainsi, les SC10 parisiens ont commencé à apparaître sur les réseaux roumains dès les années 1990-1995. Au fur et à mesure de leur réforme par la RATP, quelques dizaines ont été revendu à Bucarest, Iasi ou encore Cluj-Napoca. Robustes, fiables et encore en bon état, les SC10U-MR et MCR (surnommés "Toit blanc") sont partis vers l'est. En ce début des années 90, la Roumanie était dans une situation - pour ne pas dire "un état" - économique délabrée. Après plus de quarante ans de communisme et de dictature, il était urgent de moderniser les parcs roulants mais l'argent manquait. La mise sur la marché d'occasion des SC10 permit une transition économique qui fut momentanément satisfaisante malgré une inadaptation relative des ces voitures aux importantes surcharges de l'époque à Bucarest, en particulier. D'autres séries apparurent sur les réseaux de province comme à Iasi ou à Cluj-Napoca.
Cluj-Napoca - Strada Horea - 17 mai 2014 - Les SC10R parisiens présentent un état encore acceptable, notamment au niveau de la carrosserie mais néanmoins fatigués lorsqu'on regarde les détails : pare-chocs, phares, essuie-glaces... © Th. Assa
Dans les années suivantes, ce furent les SC10R qui remplacèrent les SC10U-MR et MCR. Curieux prolongement de l'histoire des autobus français qui se répétait avec dix ans de décalage. Mais le SC10R a la vie dure : il roule encore à Cluj-Napoca, dernier exemple connu hors de France où ces voitures assurent encore un service voyageurs quotidiens. Les plus anciens approchent des trente ans d'âge et sont en voie d'être réformés, remplacés par ... des Agora parisiens.
Dans le domaine du trolleybus, les ER100 de Lyon, Saint Etienne et Limoges ont connu plusieurs destinations. Dès 2001, les ER100 lyonnais sont mis en vente au fur et à mesure des réformes : quasiment tous devaient trouver preneur : en Roumanie, à Timisoara, Bicaz, Piatra Neamt et Medias ; en Arménie à Yerevan. Certains circulent toujours en 2014.
Piatra-Neamt - Strada General Nicolae Dâscâlescu - 15 mai 2014 - Un des 30 ER100R lyonnais (ex-série 2600) portant encore sur la face avant le logo de son réseau initial. Les faces latétales sont pelliculées. © Th. Assa
Piatra-Neamt - Strada Orhei - 15 mai 2014 - Un autre ER100R lyonnais, mais cette fois-ci issu de la série 2800 rénovée par l'entreprise albigeoise Safra, longe la rivière Cuedji dans le centre de Piatra-Neamt. Ces véhicules sont munis de moteurs Alsthom TA-635 qui avaient d'abord équipés les VA3B2 en 1954. © Th. Assa
En 2011, 5 ER100H de Saint Etienne et 6 ER100.2H de Limoges ont été acquis par le réseau de Brasov. De moindre capacité que les véhicules articulés déjà présents sur ce réseau, ils ne circulent qu’en heures creuses.
Brasov - Strada Caprioarei - 20 mai 2014 - Un ER100.2H de la STCL, ayant lui aussi conservé la quasi-intégralité de sa livrée. Ils n'auront connu qu'une courte période d'inactivité après l'arrivée des Cristalis sur le réseau de Limoges. © Th. Assa
La transformation insolite des anciens Roissybus
Pour moderniser son parc de trolleybus, le réseau de Cluj a combiné l’achat de véhicules neufs, des Citélis 12T commercialisés par la filiale Astra Bus, faisant suite aux Agora T, et le rachat de véhicules d’occasion. Cependant, la solution technique fut pour le moins inédite, sinon insolite. La Régie Autonome des Transports Urbains de Cluj a racheté en 2011 à la RATP 15 Agora L libérés du service Roissybus par l’arrivée de Lion’s City GL. Astra Bus, filiale roumaine d’Irisbus, a été désignée pour assurer leur remotorisation. L’entreprise Icpe SAERP a fourni la chaîne de traction électrique, avec l’installation de moteurs autrichiens TSA, fournisseur des moteurs des Swisstrolley. Le coût total de l’opération a atteint 230 000 € dont 10 000 € pour le rachat des véhicules. La RATUC a ensuite acquis et transformé 5 véhicules supplémentaires. D’autres Agora L ex-Roissybus ont été acquis mais maintenus en motorisation Diesel.
Cluj-Napoca - Boulevard du 21 décembre 1989 - 17 mai 2014 - L'un des 15 anciens Roissybus, transformé en trolleybus après dépose de son moteur Diesel : ces véhicules contribuent à moderniser à moindre frais le parc de l'exploitant. © Th. Assa