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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Petite comparaison des tramways modernes européens

L’offre de tramways modernes parmi les industriels implantés en Europe est assez vaste et a tendance à de diversifier avec de multiples déclinaisons des différentes plateformes développées.

En France, Alstom est en position de force, ayant fourni près de 85% des tramways actuellement en service. Cette proportion devrait se renforcer puisque les récentes commandes lui ont toutes été attribuées.

Il est tout de même intéressant d’effectuer une petite comparaison entre les différents modèles, en essayant autant que possible de ne pas négliger le point de vue du voyageur lambda. Sur la ligne de départ : Citadis (Alstom), Flexity (ex-Bombardier), Urbos (CAF), Combino (Siemens), ForCity Alfa (Skoda), Sirio (Hitachi). A ce stade, l’Avenio (Siemens) et le Tramlink (Stadler) ne figurent pas dans notre comparaison car pour l’instant en nombre trop réduits (et pour tout dire : pas encore essayés !). Chez Stadler, la gamme Tango est à considérer à part car à plancher bas partiel. D’autres matériels très spécifiques (tels les ULF de Vienne) sont hors concours afin de comparer des produits relativement semblables.

Plancher bas intégral, insertion en courbe et suspension

Point commun à la plupart de ces plateformes, sauf le Tango, le plancher bas intégral, devenue la norme, exporte une contrainte : l’espace pour insérer la suspension se retrouve particulièrement réduit, sauf à sacrifier quelques places assises. C’est le choix qu’ont effectué la plupart des constructeurs pour conserver une certaine souplesse et un peu de débattement dans les courbes. Alstom avait d’abord adopté le bogie LHB, contraignant les premiers Citadis (Montpellier, Orléans), en attendant de finaliser le bogie Arpège. Celui-ci a l’avantage de la compacité : il a permis un aménagement intérieur avec 4 places de front sur les caisses reposant sur des bogies, alors que sur les autres matériels, l’espace est limité soit à 2 places de front soit une distribution longitudinale, avec des coffres destinés à loger la suspension.

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Montpellier - Place de Comédie - 18 mars 2011 - Les premiers Citadis étaient conçus avec des caisses longues en extrémité et reposaient sur des bogies classiques dont on voit la rotation sur ce cliché. On retrouve également ces rames à Orléans et Dublin. © transporturbain

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Lyon - Cours Charlemagne - 4 juin 2021 - Les rames lyonnaises ont inauguré l'architecture à caisses courtes reposant sur bogies Arpège pour un plancher bas intégral, alors que le type Montpellier comprenait une marche au-dessus des bogies moteurs. Point faible de cette seconde version : l'inscription en courbe. © transporturbain

Revers de la médaille, l’inscription en courbe des tramways modernes à plancher bas intégral n’est pas fameuse, astreignant à des vitesses limitées. A Montpellier, on a pu mesurer que les rames type 401 (bogies LHB) tenaient l’horaire de la ligne T1 contrairement aux rames types 402 à bogie Arpège, dont la vitesse potentielle est inférieure de 10 km/h à rayon identique.  L’écart est moins sensible entre le Citadis et les autres modèles pris en comparaison.

Ensuite, dans la gamme Flexity, il convient de distinguer les différents produits : la version Classic (comme à Porto ou Leipzig) est plutôt typée pour les dessertes suburbaines, mais elle est à plancher bas partiel. La première version de la version Outlook (ex-Cityrunner) qu’on retrouve à Bruxelles, à Genève ou à Marseille, est meilleure que le Citadis, mais l’évolution du produit l’a mis au même niveau (cas des rames de Bâle ou de Zurich par exemple). Le Variobahn (par exemple à Graz), né chez ADTranz, commercialisé par Bombardier puis Stadler, se situe à un niveau comparable au Cityrunner. Le Combino de Siemens se situe entre le Citadis et le Cityrunner.

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Bruxelles - Rue du Heysel - 28 juillet 2012 - Les Flexity de la STIB comptent parmi les matériels les plus réussis, avec une grande douceur de roulement. La conception des bogies est cependant très contrainte mais avec un débattement légèrement supérieur à celui du Citadis, invisible du fait des carénages, l'insertion en courbe est un peu meilleure. Notez la dissymétrie des portes du fait de la cabine décentrée, ce qui permet, dans le sens nominal de la marche, un accès double en tête. © transporturbain

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Bâle - Barfusserplatz - 30 mai 2009 - Les Combino ont connu à leurs débuts de sérieux problèmes de structure qui ont altéré la réputation du produit qui se révèle cependant agréable et souple pour le voyageur. © transporturbain

Seul candidat à véritablement se distinguer, le ForCity Alfa (présentes à Prague et Riga). L’architecture radicalement différente à 3 caisses semi-longues sur 4 bogies dont 2 sous les postes de conduite surélevés préserve l’objectif d’une accessibilité totale tout étant compatible avec une bonne inscription en courbe. La suspension de bon niveau s’apprécie aussi sur les complexes de voie, autre point faible de ses rivaux. C’est probablement le matériel le plus performant en courbe et sur les appareils de voie, et pour lequel le confort de roulement s’avère parmi les meilleurs.

On notera aussi que le Flexity Outlook (ex-Cityrunner) et le Combino proposent des versions à écartement métrique dont le comportement est similaire à celui des modèles à voie normale. Ce n’est pas le cas du Citadis, du Sirio et du ForCity Alfa. CAF a produit des tramways à voie métrique, d’abord à Bilbao, mais aussi à Freiburg im Breisgau et à Saint Etienne.

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Saint Etienne - Avenue Denfert-Rochereau - 25 juillet 2018 - CAF a conçu pour Saint Etienne un Urbos très particulier pour tenir compte des nombreuses contraintes de ce réseau, notamment la charge à l'essieu. © transporturbain

Gestion des échanges et confort de voyage

Sur l’accessibilité, le nombre et la distribution des portes amène notamment à s’intéresser à la configuration des extrémités. La porte simple a eu la vie longue. ADTranz avec l’Incentro de Nantes fut le premier à adopter la double porte derrière les postes de conduite : une disposition indispensable sur les lignes modernes en site propre où les voyageurs accèdent aux quais par les extrémités.

La plupart des constructeurs ont fait évoluer leur produit pour proposer la double porte : Alstom fut néanmoins un des derniers à s’y mettre. La différence entre un Citadis de 2001 (type Lyon, le premier sur bogies Arpège) et de 2019 (type Caen) est assez flagrante, améliorant – enfin – les échanges sur les portes les plus sollicitées sur des lignes en site propre où l’accès aux quais s’effectue le plus souvent par leurs extrémités. La commercialisation de la configuration « strasbourgeoise » accentue cette évolution sur la gestion des échanges de voyageurs.

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Porto - Avenida da Republica - 28 mai 2014 - Assurément, les Eurotram du Métro do Porto constituent la version la plus réussie de ce matériel, alors que les premières rames livrées par Strasbourg, ont souffert de problème de tenue dans le temps des carénages plastiques, sans compter la cinématique des portes. Allure plus massive, mais meilleure finition et entretien facilité. © transporturbain

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Strasbourg - Gare centrale - 26 janvier 2022 - Pour l'emporter à Strasbourg, le Citadis devait s'adapter aux contraintes du gabarit dynamique de l'Eurotram, d'où cette nouvelle version, avec bogies porteurs sous caisses et surtout une double porte aux extrémités. En revanche, la longueur de la cabine augmente au détriment de la surface d'accueil des voyageurs. © transporturbain

La disposition peut être dissymétrique, comme sur les Flexity de Bruxelles avec une double porte côté droit et une porte simple côté gauche pour désaxer les postes de conduite.

A l’opposé, les versions unidirectionnelles peuvent donner lieu à différentes configurations, éventuellement sans porte sur le dernier module, ce qui peut s’avérer problématique pour la rapidité des échanges.

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Heidelberg - Theodor-Heuss-Brücke - 30 octobre 2016 - Un Variobahn en version interurbaine sur la ligne 5 du RNV : la rame comprend 5 modules et 4 portes (3 doubles et une simple en tête). Leur circulation à 80 km/h entre Heidelberg et Mannheim s'effectue avec une très bonne stabilité à cette vitesse malgré la structure multi-articulée. © transporturbain

On ne s’intéressera pas au confort des sièges car il s’agit de choix généralement liés aux opérateurs et aux autorités organisatrices. Néanmoins, ce n’est généralement pas le point fort de ces matériels, surtout quand l’esthétique se met à primer sur la fonctionnalité.

Autre critère : le niveau sonore. De prime abord, on distinguera les tramways qui « ronronnent » de ceux qui « sifflent ». Ce n’est pas forcément anecdotique, surtout pour les voyageurs qui effectuent de longs parcours à bord. Les premiers Citadis sur bogies LHB, sont plutôt « dans les graves », alors que les rames sur bogies Arpège sont « dans les aigus ». La version TORA apparue après 10 ans de production, disposant d’un nouvel onduleur de traction, était déjà moins stridente. La tendance s’est confirmée avec les dernières versions X05. Les autres modèles ont plutôt tendance à « ronronner ».

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Vitry sur Seine - Avenue Gagarine - 8 mai 2021 - La nouvelle version du Citadis améliore le roulement et le niveau sonore intérieur... mais offre surtout la double porte aux extrémités. En revanche, le porte-à-faux sur ces versions augmente. © transporturbain

Le niveau sonore se mesure aussi à la qualité d’assemblage et au choix des matériaux. Sur des rames où la suspension a tendance à être réduite du fait des contraintes d’accessibilité, c’est une dimension importante… sinon, ça couine, ça vibre et ça grince, et à la longue, cela devient désagréable – voire pénible – pour les oreilles du voyageur (sauf celui qui écoute de la musique ou regarde des vidéos sur youtube).

Charge à l’essieu, structure de caisse et sollicitation de la voie

Passons sur la balance : la masse à l’essieu est un indicateur intéressant car il résume l’architecture du produit et son effet sur la voie. Les rames multi-articulées ont déjà un effet dans les courbes avec une propension avérée à l’usure ondulatoire surtout si elles les bogies ont un faible degré de liberté. La masse à l’essieu va jouer à la fois sur la sollicitation de la voie et sur la tenue des structures de caisse. Les rames modernes affichent généralement une masse d’au moins 6 tonnes par essieu sur les versions « 5 caisses dont 3 avec bogies » ou « 7 caisses dont 4 avec bogies ». En revanche, les rames CAF ont tendance à s’approcher des 7 tonnes : c’est notamment le cas à Besançon et Nantes. Dans cette dernière, l’architecture à caisses longues (pour une rame de 37 m et non pas de 32 m) a peut-être aussi poussé la structure aux limites.

Là encore, le ForCity Alfa de Skoda se distingue par sa légèreté avec 3 caisses sur 4 bogies et une masse à l’essieu de 5,2 tonnes.

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Riga - Maskavas iela - Les ForCity Alfa produites par Skoda pour les réseaux de Prague et de Riga se distinguent à la fois par leur excellente qualité de roulement, leur insertion en courbe et leur masse à l'essieu la plus légère des matériels de notre comparaison. © J. Sivatte

Cette prise de poids est d'abord liée au renforcement sécuritaire de la structure des rames et à l'ajout d'aménités de confort et de services à bord (de la climatisation au wifi), bien plus qu'à la vitesse puisque les matériels des années 1930 atteignaient déjà pour certains les 80 km/h. En comparaison, une PCC simple de Bruxelles (série 7000), affichait 16,6 tonnes soit 4,15 tonnes par essieu.

On note d’ailleurs que les industriels proposent de plus en plus des architectures avec un bogie de plus : Alstom avait déjà eu l’occasion de le faire à Strasbourg pour proposer un Citadis compatible avec le gabarit dynamique de l’Eurotram d’ABB. Cette formule « 5 caisses sur 4 bogies ou 7 caisses sur 5 bogies » a été proposée à Nantes et à Paris (pour T1).  Dans une configuration différente, Alstom a proposé à Francfort un tramway « 3 caisses sur 4 bogies » (dont la caisse centrale à 2 bogies), qui présente un certain cousinage avec le tram-train Dualis. Pour Cologne, c'est une double rame qui a été proposée.

D’autres vont plus loin, comme la gamme Avenio de Siemens qui repose sur le principe « une caisse = un bogie). Certes une optimisation de la masse à l’essieu, mais un véhicule qui prend du poids et surtout des pièces complexes supplémentaires à maintenir.

Evidemment, la qualité de la voie joue beaucoup. L'exemple le plus fragrant est à Milan, où les matériels modernes (Sirio et Eurotram) souffrent beaucoup d'infrastructures souvent dégradées faute d'entretien, que le matériel ancien encaisse mieux.

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Milan - Viale Gorizia - 8 novembre 2017 - Les Sirio et Sirietto milanais comptent parmi les matériels les plus désagréables du réseau mais l'état des voies sur certains tronçons mettent à rude épreuve un matériel qui se comporte nettement mieux sur des voies modernes, comme à Florence. © transporturbain

A propos de tenue sur la voie

C’est une dimension qui n’est pas fréquemment évoquée, non qu’il y ait un risque majeur, mais l’expérience d’un peu plus de 20 ans d’exploitation semble tout de même confirmer un écart. Les tramways modernes à caisses courtes alternant un module avec bogie et un module sans, surtout lorsque le porte-à-faux aux extrémités est important, ont tendance à être plus sensible en cas de collision avec un véhicule routier : les déraillements semblent plus fréquents. La version strasbourgeoise du Citadis se révèle moins sensible aux chocs latéraux. L’Avenio avec un bogie sous chaque caisse, est, de ce point de vue aussi, une solution maximaliste.

Alors, à qui la palme ?

Difficile d’attribuer un titre de « meilleur tramway d’Europe » : voici 20 ans, le Cityrunner de Bombardier constituait une référence européenne. Le Flexity 2 a reculé d’un cran en qualité de roulement et se retrouve désormais au niveau du Citadis (qui s’est un peu amélioré), du Combino (qui n’est plus produit) et du Sirio. L’Urbos de CAF semble donc à la croisée des différentes attentes mais ses récents soucis de fissurations précoces constituent une alerte sérieuse (on se souvient de la crise des Combino). Il faut donc s’intéresser aux « outsiders » tels que le ForCity Alfa chez Skoda et le Tramlink de Stadler qui semble assez à l’aise tant en urbain qu’en suburbain.

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