Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Pas de ZFE ni de ZTL sans bons transports en commun !

Le cadre français

Plusieurs condamnations sont récemment intervenues pour des actions insuffisantes dans la lutte contre la pollution urbaine : par la Cour de Justice de l'Union Européenne, le Conseil d'Etat et le Tribunal Administratif de Paris. Parmi les quelques mesures en réaction, la loi Climat et Résilience adoptée à l'été 2022. L'Etat a enjoint les métropoles, dépassant régulièrement les seuils de pollution atmosphérique, et plus largement toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants, d'instaurer progressivement des Zones à Faibles Emissions.

Le principe de ces zones repose sur une vignette baptisée Crit'air, fonction de seuils d'émissions par les véhicules. Elles sont déjà utilisées ponctuellement pour resteindre la circulation en cas de pic de pollution. Au-delà Dans un premier temps, 4 métropoles ont déjà défini une ZFE (Lyon, Grenoble, Ville de Paris, Métropole du Grand Paris). On remarquera au passage que la cohérence en Ile-de-France reste encore toute relative. Par la suite, 7 autres vont également en instaurer une : Aix-Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier, Strasbourg, Rouen et Reims.

Les ZFE n'autorisent plus les véhicules avec une vignette de catégorie 5, puis seront concernées la catégorie 4 en 2024 et la catégorie 3 en 2025.

131119_C1jean-pain

Grenoble - Place Chavant - 13 novembre 2019 - Après avoir été à la pointe du développement des transports en commun pour réduire la pression du trafic automobile, Grenoble connaît depuis la mise en service de la ligne E du tramway un certain statuo quo, avec toutefois quelques améliorations du réseau de bus. Il y a pourtant encore fort à faire et la pollution sur l'agglomération reste élevée. Sur ce cliché, les derniers autobus motorisés au gaz. © transporturbain

Cette disposition de la loi Climat et Résilience repose presque exclusivement sur le renouvellement du parc de véhicules routiers, avec des incitations à l’achat de voitures électriques ou au moins hybrides, pour réduire la pollution urbaine, très majoritairement liée aux transports individuels dans les grands bassins urbains. Cependant, cette mesure ne concerne qu’une partie du sujet de la mobilité dans les grands bassins urbains et peut poser des questions d’ordre sociétal.

031015_T3rome2

Marseille - Rue de Rome - 3 octobre 2015 - Malgré le Mistral, la cité phocéenne est parfois dans le rouge, mais le retard d'investissement en matière de transports publics est considérable. Le rattrapage semble engagé mais les besoins sont immenses. © transporturbain

ZFE : faibles émissions ne veut pas dire faible trafic

La stratégie française repose donc d'abord sur la dépollution de la motorisation des véhicules routiers, et notamment le passage des carburants d'origine fossile à l'électricité. Il ne s'agit donc pas d'abord de diminuer le trafic mais de le rendre - du moins en apparence - plus vertueux. L'action gouvernementale le confirme avec un fort soutien à l'acquisition de véhicules électriques, car leur coût reste élevé et inaccessible pour nombre de ménages de revenus modestes selon leurs besoins.

La définition du périmètre est assez fluctuante. En Ile-de-France, c'est l'ensemble des communes situées dans l'enceinte formée par l'A86. A Lyon, elle est assez restrictive, concernant Lyon, Villeurbanne, Caluire-et-Cuire, une partie de Bron et de Vénissieux, dans l'enceinte du boulevard périphérique. En revanche, à Grenoble, elle concerne 27 communes de la métropole.

L'effet est donc très différent, et les conséquences sur les modalités de déplacement des populations varient fortement. Plus la ZFE est étendue, plus la pression est forte car elle concernera aussi des flux tangentiels, entre banlieues, vers les zones industrielles, les centres commerciaux, mais aussi l'accès à ces zones, souvent en frange métropolitaine, pour les populations périurbaines au-delà de la Métropole qui devront s'astreindre aux modalités de la ZFE, car les transports en commun sont rarement suffisamment organisés et performants dans ces secteurs. Il y a donc un risque de ségrégation par le niveau de revenus touchant aussi les populations résidant hors métropole mais dont les emplois se situent fréquemment aux franges de l'agglomérations. On connaît depuis 2018 la sensibilité de ce type de sujet...

La ZFE pose aussi la question des besoins occasionnels : on prendra pour exemple les parents allant installer un jeune étudiant dans l'une de ces villes, au moyen du véhicule familial qui serait hors des critères d'admissibilité.

S'appuyant principalement sur la voiture électrique, dont l'efficacité énergétique globale réelle reste sujette à débats, la ZFE implique un maillage en bornes de rechargement, encore assez peu développé, sans compter la problématique de l'installation dans les parkings d'habitat collectif.

L’instauration des ZFE sous-tend le maintien d’un schéma dans lequel la voiture individuelle est la solution de déplacement universelle par principe. Elle n’incite pas à remettre profondément en question l’usage de la voiture, comme si le passage à la motorisation électrique résolvait tous les sujets liés à la circulation en zone urbaine. Pourtant, électrique ou thermique, une voiture en ville, c'est toujours en moyenne 1,1 occupants par véhicule occupant 8 à 10 m² au sol. La voiture électrique n'apporte aucune réponse face aux problèmes de congestion, aux nuisances et à la perte de temps qu'elle occasionne, qui représente aussi une perte de valeur importante.

200220_L5porte-des-postes1

Lille - Porte des Postes - 20 février 2020 - Depuis trop longtemps, la métropole lilloise connaît le statu quo en matière de modes lourds. Les améliorations du réseau de bus sont insuffisantes, ce qui a laissé de fait à l'automobile dans une position ultra-dominante. Les nouveaux projets vont surtout essayer de rattraper le retard mais certains choix laissent sceptiques, comme l'absence de tramways dans le centre de Lille pour compléter le métro. © transporturbain

La limitation de la circulation des véhicules en fonction de leur motorisation est théoriquement un levier parmi d'autres :

  • le plan de circulation, comme celui instauré dans le centre de Strasbourg au début des années 1990 en lien avec le retour du tramway, pour éliminer les flux de transit dans cette zone ;
  • l'organisation du stationnement, tant par le nombre que le prix, sachant que la probabilité de disposer facilement d'une place sur le lieu de destination favorise grandement l'utilisation de la voiture. Cependant, il faut distinguer le stationnement pour les visiteurs de celui des riverains (qui n'ont pas nécessairement tous une place en parking privatif, sachant qu'il n'est pas - encore ? - interdit de posséder une automobile quand on est citadin même en zone centrale), et ne pas négliger les besoins pour les livraisons notamment dans les quartiers commerçants ;
  • la restriction d'accès à certains besoins : riverains et activités au sein du périmètre ;
  • les aménagements en faveur d'autres modes de transport avec, par ordre d'importance, le trio piétons - transports en commun - vélos.

Cependant, le discours ambiant a tendance à minorer ces autres modalités pour se concentrer sur le seul type de véhicules, ce qui a l'avantage de ne pas questionner fondamentalement la place de la voiture dans les déplacements urbains. C'est aussi l'illustration d'un clivage entre l'Etat et les collectivités locales, souvent bien plus progressistes en la matière, en particulier depuis la Loi sur l'Air de 1996 qui est à l'origine des nouveaux Plans de Déplacements Urbains et d'une vague de renouveau des transports publics incarnée par le tramway.

La ZTL se limite-t-elle au péage urbain ?

Autre disposition possible, la Zone à Trafic Limité (ZTL) est souvent associée à la solution du péage urbain, mais c'est un - gros - raccourci un peu facile.

211120_14+139regent-street_jhellender

Londres - Regent Street - 21 novembre 2020 - Le péage urbain a été instauré dans la capitale britannique en 2003. Il est appliqué en semaine de 7 heures à 18 heures, et le week-end de 12 heures à 18 heures. Le tarif est de 15 £ par entrée. Il fonctionne avec des caméras de lecture des plaques d'immatriculation. Le paiement s'effectue par téléphone ou dans certaines boutiques. En outre, un péage de 12,50 £ doit être acquitté tous les jours par les véhicules les plus polluants. Le bilan de ces mesures sur la congestion et sur la qualité de l'air semble faire encore débat. © J. Hellender

Comme son nom l’indique, il s’agit de limiter le trafic dans un périmètre défini, généralement les quartiers centraux, les plus denses, d’une ville. Qui dit trafic limité dit aussi révision de l'organisation de la circulation et du stationnement, et donc des équilibres avec les espaces pour les piétons, et potentiellement l'exploitation des transports en commun.

En 2023, il existe 5 zones à trafic limité dans les grandes agglomérations. La plus ancienne (2012) concerne une partie du centre de Nantes. A Grenoble, cette disposition a été mise en oeuvre sur un périmètre très réduit de l'hypercentre autour du boulevard Agutte Sembat. En 2022, ce sont Bordeaux et Strasbourg qui ont adopté ce principe, mais Rennes a créé en 2023 le plus vaste périmètre de ZTL, couvrant 40 hectares centraux.

131119_C4agutte-sembat3

Grenoble - Boulevard Agutte Sembat - 13 novembre 2019 - Sur cet axe nord-sud dans le centre de Grenoble, il y a désormais une véloroute en position axiale et des trottoirs plus larges. Les deux voies de circulation sont désormais à trafic limité, pour les seuls riverains, les livraisons, les véhicules d'intervention... et les transports en commun. © transporturbain

Intéressons-nous donc au cas rennais : la ZTL restreint l'accès des véhicules routiers à ce périmètre aux seuls besoins de la desserte locale, pour les riverains, pour les livraisons, évidemment les travaux publics, les gestionnaires de réseaux, les personnels médicaux et les transports en commun. Elle autorise également certains besoins spécifiques occasionnels (comme un déménagement, le transport d'objets encombrants, l'accompagnement de personnes à mobilité réduite ou la clientèle des hôtels...). Les véhicules autorisés doivent porter un macaron, faute de quoi leurs propriétaires seront astreints à une contravention de 35 €. La vitesse est limitée à 20 km/h.

260123_e-citaro-g-nemours3

Rennes - Rue de Nemours - 26 janvier 2023 - Outre la création de la plus vaste Zone à Trafic Limité de France, Rennes a mis en service sa deuxième ligne de métro et engage la transition énergétique de ses autobus avec l'arrivée de véhicules électriques, comme cet e-Citaro articulé en essais. © transporturbain

Ainsi, la ZTL n'exerce pas une sélection selon le type de véhicules, mais uniquement sur les motifs d'utilisation. Elle apparaît par conséquent moins discriminatoire. Pour certains, elle apparaît donc moins efficace puisqu'elle ne bannit pas les véhicules les plus anciens, les plus émetteurs de gaz nocifs. Elle a quand même plutôt vocation à se limiter à des espaces centraux très denses puisqu'elle est accompagnée d'une limitation de vitesse très basse : l'effet sur les coûts d'exploitation des transports en commun de surface augmente avec la taille de la ZTL. Or c'est un critère d'attractivité majeur et un facteur de coût de production du service, sujet sensible s'il en est...

Dans le cas de ZTL avec péage urbain, Londres a fait le choix d'un périmètre central relativement compact, alors que Milan s'est restreint à l'écusson central... mais en le complétant d'une ZFE au-delà, couvrant le territoire de la commune (dont l'accès est autorisé pour les véhicules au moins Euro5).

210611_9repubblica1

Milan - Piazza della Repubblica - 21 juin 2011 - L'impact du péage urbain milanais instauré en 2012 a été assez limité car il ne concerne que le coeur historique de la ville. Son tarif n'a pas changé : 5 € par jour. La zone à faibles émissions a été créée en 2019 sur le périmètre de la ville. L'impact sur l'efficacité des transports en commun reste à déterminer car le nombre de véhicules entrants n'a pas diminué... bien au contraire. © transporturbain

Quels effets sur les politiques de transports en commun ?

Les réponses ne sont pas nécessairement les mêmes selon les cas. Il y a un premier niveau de choix (ZFE ou ZTL ?) puis un second sur le périmètre (large ou restreint à l'hypercentre ?). Il n'y a donc pas de vérité absolue en la matière.

Cependant, la promotion de la ZFE, et plus largement le soutien puissant de l'Etat à la voiture électrique, laisse à croire que puisque la voiture devient « propre », il n’y a plus guère de raisons d'en restreindre l'usage. Une ZFE n'est donc pas forcément une zone à moindre congestion. Or le scénario au fil de l'eau peut apparaître intéressant dans des raisonnements à court terme, puisqu'il ne modifie que marginalement le choix modal dès lors que le véhicule répond aux critères d'admissibilité. En revanche, il est beaucoup moins certain que le raisonnement à long terme conforte cette orientation.  La ZTL cible l'ensemble des véhicules raisonne plutôt par le motif d'usage, mais il semble à peu près aussi difficile de l'étendre à un périmètre au-delà des espaces centraux.

De ce fait, il est assez difficile de considérer une différence entre ces deux solutions. On serait même tenté de dire qu'il ne faut pas inverser l'ordre du raisonnement. Les politiques urbaines ont nécessairement besoin de concilier un développement important des transports en commun et d'une planification coordonnée de l'évolution de la ville, en particulier la maîtrise de l'étalement urbain qui a dait tant de dégâts depuis plus d'un demi-siècle. De la même façon, l'urbanisme moderne repose aussi sur une reconquête partielle de l'espace public pour les piétons et d'une organisation raisonnée - hiérarchisée - des aménagements pour les vélos, trottinettes et autres monoroues.

Certes, le gouvernement français a fait un effort, portant à 900 M€ l'enveloppe de subvention pour le dernier appel à projets de transports urbains. Certes, il a beaucoup communiqué sur le développement de RER dans les grandes agglomérations, mais de la communication à l'action, il y a un pas de géant à franchir, qui nécessitera d'importants moyens : leur consistance réelle n'est pas à la hauteur des besoins depuis trop longtemps, malgré une abondance de rapports d'experts et de parlementaires. Pour autant, son appétence pour les transports en commun reste des plus modestes, et son orientation couplée ZFE + soutien à l'acquisition de voitures électriques (sans compter le reste...) s'ajoute à une longue liste faiant plus que mettre en doute son engagement réel dans une transition écologique des mobilités.

Ce n’est pas forcément le cas des collectivités locales dont certaines investissent assez fortement et depuis maintenant plus de 30 ans, malgré les tensions budgétaires sans cesse plus fortes, dans l’amélioration de leurs réseaux : elles n'ont généralement pas attendu ce genre de mesures pour agir.

260921_9francois-verdier1

Toulouse - Allée François Verdier - 26 septembre 2021 - Perdue dans un débat stérile entre le tramway et le métro d'abord, entre le métro et le RER ensuite, Toulouse est congestionnée et le retard accumulé en matière de transports en commun reste important. La troisième ligne de métro ne règlera pas tout, la voiture électrique non plus. © transporturbain

041018_Acenon-thiers1

Cenon - Avenue Jean Jaurès - 4 octobre 2018 - Correspondance entre le tram et le train. La facilité de passage d'un mode de transport à un autre est évidemment une des clés d'une ville moins étouffée par des modes de déplacements individuels... surtout s'ils sont motorisés. Mais pour cela, il faut une volonté politique tenace... et des moyens pour construire un urbanisme qui limite les grands trajets, l'étalement urbain et donc la dépendance à la voiture, fut-elle électrique ! © transporturbain

En conclusion, les modalités de restriction de la circulation automobile en milieu urbain n'auront véritablement de sens qu'à condition de s'intégrer dans une démarche plus globale d'un urbanisme plus compact et plus durable, fondée d'abord sur une maîtrise du foncier et des distances parcourues. L'amélioration et la coordination des différents transports en commun urbains et interurbains est donc absolument centrale puisqu'elle entraîne une recomposition de l'espace et une mise en réseau des différents pôles structurants un bassin de vie. En particulier, tramways et BHNS, solutions à fort potentiel dans nos villes, aux côtés du métro et des RER, agissent aussi en faveur d'un rééquilibrage de l'organisation de la voirie, en faveur des piétons évidemment, mais aussi pour développer de meilleurs itinéraires cyclables. D'où la nécessité d'une hiérarchisation dans le bon sens... et donc d'avoir le courage de concevoir un vrai système de transport écologique, dans lequel la voiture électrique a assurément une place, mais pas la première !

Voir également le dossier de transporturbain sur le thème Urbanisme, déplacements, choix modaux

Publicité
Publicité
Publicité