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transporturbain - Le webmagazine des transports urbains

Les tramways de Berlin jusqu'à la réunification

Le troisième réseau mondial

Avec 191,6 km d’infrastructures, le réseau de tramways de la capitale allemande est le troisième du monde par la longueur après Melbourne et Saint-Petersbourg mais devant Vienne et Moscou. Le tramway dessert 5 ensembles fonctionnels : au réseau continu du BVG, il faut ajouter 3 lignes isolées dans l’est de l’agglomération (87, 88 et 89) et un réseau indépendant dans la ville périphérique de Potsdam. 

Pourtant, Berlin est frappée hémiplégique en matière de tramways. Conséquence indirecte de la partition politique de la ville en 1961, les tramways ont connu un destin différent de part et d’autre du mur : maintien à l’Est malgré des suppressions et la faiblesse des ressources, élimination totale à l’ouest.

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Berlin - Alexanderplatz - 27 septembre 2008 - Un couplage de KT4D et en arrière-plan, la célèbre tour de la télévision est-allemande censée incarner durant près de 30 ans la réussite de la RDA. © transporturbain

Néanmoins, avec 22 lignes exploitées en 2016, les tramways restent un acteur majeur des transports en commun berlinois, avec 181 millions de voyageurs par an en 2014, soit 20 % de la fréquentation du réseau BVG.

Au travers de ce dossier, transporturbain vous propose à la fois de parcourir l'histoire d'un réseau, mais aussi un regard sur une ville à l'histoire ô combien singulière et douloureuse. Difficile en effet de flaner dans Berlin sans repenser au Mur, symbole de la division politique de l'Europe. Difficile aussi d'imaginer la vie berlinoise avant que la ville ne soit à jamais mutilée par la guerre : certes, Berlin a ressuscité, mais c'est une autre ville qui est née en 1945 et c'est encore une autre qui se construit depuis 1989.

Le pionnier de la traction électrique

Ville de 172 000 habitants au début du 19ème siècle, Berlin connut une augmentation très rapide de sa population en devenant une place forte de l'industrie moderne. Le chemin de fer y arriva en 1838 - un an après Paris - avec pour conséquence une accélération considérable de l'exode rural. Se dotant de 8 gares terminus, elle put ainsi rapidement capter les populations rurales allant chercher du travail en ville. Avec 419 000 habitants en 1850, Berlin s'était hissée à la 4ème place des villes les plus peuplées après Londres, Paris et Saint Pétersbourg. Berlin et Paris allaient d'ailleurs souffrir d'un même maux : enchâssées dans des enceintes étriquées, les deux capitales n'arrivaient plus à absorber la population affluant. Les chiffres sont éloquents : 826 000 habitants en 1870 (soit un doublement en 20 ans) et 1,1 millions d'habitants en 1870 (soit un quasi triplement en 30 ans). Cette explosion urbaine se fit donc dans des conditions très précaires. La croissance de la population fut à peine absorbée par le plan Hobrechts destiné à créer de nouveaux logements (les casernes à loyers impopulaires et rapidement dépassées) et la circulation dans Berlin devenait de plus en plus difficiles.

Le premier service de transports en commun organisé, avec itinéraire et horaire fixe, est apparu en 1825. La même année, Stanislas Baudry mettait en service ses premiers omnibus à Nantes. A Berlin, Simon Kremser créait une liaison entre la porte de Brandenburg et la commune cossue de Charlottenburg, mais cette ligne desservait ce qu'on n'appelait pas encore une banlieue. Intramuros, les omnibus ne firent leur apparition qu'en 1840 à l'initiative d'Israel Moser Henoch.

Le premier tramway – à traction animale – circula dans Berlin le 22 juin 1865 entre la porte de Brandebourg et Charlottenburg, remplaçant les omnibus. L’effet de nouveauté entraîna la construction de plusieurs lignes, détenues par des compagnies différentes, constituant des sous-réseaux (à Spandau, Kopenick, Lichterfelde…) plus qu’une concurrence frontale, d'autant qu'avec l'augmentation vertigineuse de la population, le trafic était particulièrement soutenu. Cette pression de la demande suscita la recherche de modes de traction alternatifs, pour accélérer le service et accroître la capacité de transport. En 1886, la première ligne exploitée en traction vapeur était mise en service entre le zoo et Halensee. Cependant, la vapeur fut d’emblée prohibée au centre de Berlin. En revanche, en dépit de la floraison de compagnies, toutes avaient adoptées la voie normale.

Mais dès 1879, Siemens démontra la possibilité d’utiliser l’électricité pour faire se mouvoir un tramway. Le 16 mai 1881, une première ligne à voie métrique de 2400 m était mise en service à Lichterfelde. Alimentée en 180 V, elle fut équipée d’un fil aérien en 1890 compte tenu de quelques électrocutions : le courant était initialement délivré par les rails et plusieurs chevaux en furent victimes…

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Berlin, la ville par laquelle le tramway devint électrique et entra donc dans l'ère de la modernité. Le tramway de Lichterfelde est représenté sur cette gravure après installation d'un étonnant dispositif de captage du courant par fil aérien après les déboires de l'alimentation par les rails.

En 1886, un premier tramway à batteries était expérimenté à Charlottenburg, mais il fut abandonné en 1902. En revanche, la ligne Gesundbrummen – Pankow, mise en service le 10 septembre 1895, combinait fil aérien et archet. L’année suivante, la ligne de Treptow essayait une alimentation par caniveau axial.

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Cette vue présente le tramway de Pankow à Gesundbrummen, comptant parmi les premières lignes réalisées. On y retrouve tous les éléments de la conception classique des tramways primitifs : compartiment de faible dimension, encadré de deux plateformes ouvertes aux quatre vents, truck à empattement très court et prise de courant par archet.

Cependant, l’association entre les usines AEG et le Grosse Berliner Strassenbahn, qui avait repris une majorité de lignes hippomobiles dans un premier mouvement d’unification du réseau, aboutit à une électrification extrêmement rapide du réseau par fil aérien en 600 V. L’opération était achevée en 1902, procurant à la capitale allemande un réseau moderne, alors même que la première ligne de métro était mise en service.

Berlin Potsdamer Brucke tram 1899

Berlin - Potsdamerbrücke - 1899 - Sur ce cliché, on assiste à la transition entre tramways à traction animale et électrique : au premier plan, deux voitures hippomobiles tandis qu'une motrice électrique est visible au milieu du pont.

Unification et modernisation du réseau

L’année suivante, Berlin municipalise le réseau de tramways, fondant le Stadische Strassenbahnen (SSB) et lance un vaste programme de développement et de modernisation du réseau, avec de nouvelles motrices plus puissantes et la construction à partir de 1914 d’un tunnel sous Unter den Linden doté de 4 voies afin de faciliter la traversée de cette artère encombrée et à l'activité trépidante. Mis en service le 17 décembre 1916, il donnait encore de l’avance au réseau berlinois en matière de performance de l’exploitation.

A cette date, le GBS exploitait un réseau considérable de 493 km de lignes auxquels s’ajoutaient 80 km de tramways d’autres compagnies. Le GBS possédait 2400 motrices et 1600 remorques.

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Berlin - Alexanderplatz - 1903 - Le tramway est déjà électrique alors que les livraisons se font encore en charrette tractée par un cheval et l'autobus n'est pas encore arrivé puisque les omnibus - eux aussi hippomobiles - bat encore le pavé berlinois. Cette vue permet également de présenter l'Alexanderplatz avant la reconfiguration des années 1930.

Berlin et l'entre-deux guerres

Après la fondation du Grosse Berlin, unifiant la gestion administrative et politique de la ville au 1er janvier 1920, Berlin repousse ses limites. Capitale politique, industrielle et économique, la ville avait de longue date dépassé les limites administratives. Dans un contexte politique pourtant des plus fragiles au sortir de la guerre et d'émeutes populaires, la jeune République de Wiemar la dota d'un territoire à la mesure des enjeux d'urbanisme. Cependant, l'économie ne redémarra qu'en 1924, après la renégociation des clauses du traité de Versailles, et Berlin allait renouer avec la richesse culturelle, économique et industrielle : ce sont les Années folles et le tramway était omniprésent dans les grandes rues, rejoint par l'autobus. Une tarification unique métro – tramway – autobus était mise en œuvre à compter du 15 mars 1927 et, le 1er janvier 1929, le Grosse Berlin parachevait l’unification du réseau avec la fondation du Berliner Verkehrs Aktiengesellschaft (BVG) gérant 634 km en 89 lignes avec 1859 motrices, 1789 remorques répartis dans 20 dépôts.

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potsdamerplatz

Trois vues de la Potsdamerplatz durant la Belle Epoque, avec un ballet incessant de tramways : sur la carte postale ci-dessus, on note la diversité du matériel et l'arrivée de rames à caisses longues sur bogies Maximum Traction.

La crise économique de l’entre-deux guerres entraina chômage, inflation et un effondrement du trafic. Sur l’autel des économies, 18 lignes furent abandonnées, converties à l’autobus ou au trolleybus. A partir de 1933, le régime nazi mit progressivement en oeuvre ses plans de transformation de la ville : Berlin devait symboliser la puissance non seulement d'un pays et d'un peuple, mais aussi - surtout - d'un homme et de son idéologie. Germania était la traduction de la folie d'un régime : dès 1937, la ville commença à être refaçonnée et le tramway n'y avait pas sa place.

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wittenbergplatz

Deux vues de Wittenbergplatz : sur la première on aperçoit très nettement l'implantation axiale du tramway de part et d'autre d'une allée piétonne arborée. L'insertion des voies était très adaptée aux forts trafics et à la rapidité du service. La seconde vue montre la commodité des correspondances avec le métro, avec la célèbre gare de la U-Bahn.

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Circulation trépidante sur la Potsdamerplatz avec au centre de l'image la célèbre guérite de l'agent en charge de la gestion du trafic. L'autobus à impériale est de plus en plus présent.

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Devenue trop exiguë par rapport au trafic, l'Alexanderplatz fut complètement remaniée avec en son centre un immense rond-point de 100 m de diamètre et un projet de nouveaux immeubles dont seuls 2 blocs ont été érigés. La faible circulation laisse penser que ce cliché a été pris durant la guerre.

A la fin de l'année 1938, le réseau de tramways comprenait 71 lignes avec 2800 voitures. L'autobus mais aussi le trolleybus avait suppléé aux différents démantèlements, économiques ou politiques.

De la guerre à la partition

La deuxième guerre mondiale, avec les restrictions de carburant, provoqua à l’inverse une explosion du trafic qui se répercuta sur l'état du réseau et du matériel roulant. Dévastée par les bombardements de 1944-1945, la ville anéantie était aussi privée de tout moyen de transport en commun. En mai 1945, seul 20 % du parc était utilisable mais le réseau était lui quasiment inexploitable puisque détruit à 95%. Cependant, par la conjonction des forces militaires anglaises, américaines et russes, 3 lignes était remise en service dès le 20 mai 1945 et 11 autres au 25 juillet. Dès la fin de 1945, la moitié du réseau était à nouveau exploité. A la fin de l’année 1946, le réseau de tramways retrouvait sa configuration de 1943, mais avec un service fortement allégé du fait du manque de matériel. A la fin de l’année 1947, pas moins de 941 motrices et 860 remorques pouvaient circuler sur 388 km de réseau et 52 lignes.. Les travaux se poursuivaient jusqu’en 1952, année au cours de laquelle Berlin disposait de 452 km de lignes.

Cependant, à peine remis, la ville devait subir les conséquences des tensions grandissantes entre les pays occidentaux et l’URSS. Elle était partagée en 4 secteurs occupés (Etats Unis, Royaume Uni, France et URSS). Onze lignes de tramway passaient des secteurs occidentaux au secteur soviétique. A peine sortie d’une guerre qui avait ravagé la ville, mutilé son image de capitale dynamique, haut lieu culturel européen, Berlin allait subir les conséquences de la Guerre Froide : d’abord, le BVG fut scindée en deux compagnies : le BVG West pour les trois secteurs occidentaux (36 lignes de tramway) et le BVG Ost pour le secteur soviétique (19 lignes). Les 11 lignes franchissant les frontières entre secteurs, avec un simple changement de conducteurs, du moins jusqu’en janvier 1953, lorsqu’ils furent scindés en deux, les voyageurs franchissant les « check points » à pied.

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Berlin - Hermannplatz - Probablement au début des années 1950 - Quittant Hermannplatz à l'angle du célèbre grand magasin qui trône sur cette place, ce tram de la ligne 2 n'a aucune difficulté à se frayer dans la circulation automobile encore claisemée. Les tramways dans le secteur occidental ont bénéficié de la restauration du matériel et des infrastructures et présentaient un état encore satisfaisant. Seules des considérations politiques ont servi à justifier leur remplacement par des autobus. (cliché X).

Maintien du tramway à l’Est, suppression à l’Ouest

La dualité d’exploitation était l’une des concrétisations d’une situation politique de plus en plus tendue, faite de blocus et de restrictions dont souffraient les berlinois, qu’ils fussent de l’est ou de l’ouest. La scission du BVG allait aussi illustrer les divergences de vue entre autorités politiques et les modèles urbains sous-jacents.

A l’ouest, la suppression des tramways fut décidée dès 1953, alors même que les derniers travaux de reconstruction du réseau ne furent livrés qu’en 1955. Les autobus à impériale les remplacèrent, à commencer par le secteur du Kurfurstendamm, symbolisant le centre de Berlin Ouest, où les tramways furent éliminés dès 1954.

A l’est, les tramways étaient maintenus grâce à et de la reconstruction du parc ancien, d’où leur surnom de Reko (Rekonstruktion Strassenbahnwagen). De nouvelles motrices type Gotha étaient livrées : certes neuves, ces motrices n’en restaient par pour le moins de conception frustre, et de surcroît bruyantes, reposant sur un truck à deux essieux à empattement court et faiblement motorisées, alors qu’elles devaient tracter jusqu’à 2 remorques. En revanche, le tunnel sous Unter den Linden, en mauvais état, fut définitivement abandonné en 1951.

Evidemment, le 13 août 1961, la construction du mur coupa définitivement le réseau en deux parties isolées, allant connaître des destins différents.

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Berlin-Est - Eberswalderstrasse - 25 juillet 1985 - Une photo prise depuis l'Ouest d'un tramway de l'Est. Le trajet de la ligne 13 a été coupé, comme tant d'autres, du fait du mur. Le matériel, entretenu a minima, présente un état de fatigue évident... (cliché X)

Avec la partition physique de la ville, l’exploitation du réseau S-Bahn à Berlin Ouest fut confiée malgré tout à la DR, la compagnie ferroviaire de RDA, provoquant un mouvement de boycott de la population « occidentale ». Conséquence, le trafic augmenta sur les lignes de tramways de l’ouest, dont la suppression pourtant décidée fut alors ralentie : 18 lignes étaient encore en service en 1962. Parallèlement, la construction de nouvelles lignes de métro était engagée. Le 2 octobre 1967, le dernier tramway circulait à Berlin-Ouest sur la ligne 55 Zoo – Ernst-Reuter-Platz. Cependant, de 1978 à 1991, un tramway historique circula sur une section abandonnée de la ligne U1 entre Nollendorfplatz et Bullowstrasse.

A l’inverse, à l’Est, le réseau métropolitain ne comptait que 2 lignes. Berlin-Est privilégia le tramway, dans les faubourgs alors que dans le centre, le développement du métro était privilégié : comme « à l’ouest », le tramway était considéré comme un mode de transport du passé, incompatible avec l’image de modernité que voulait véhiculer la république démocratique socialiste. Les lignes des quartiers centraux furent donc supprimées, avec par exemple, en 1967, leur retrait sur Alexanderplatz. La même année, les receveurs étaient supprimés sur les tramways au profit d’une exploitation en libre-service. En outre, l’exploitant changea de raison sociale en 1969, devenant le Kombinat Berliner Verkehrs Betriebe (BVB).

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Kopenick - 12 juillet 1987 - Sur une voirie passablement décrêpie, une motrice Gotha tractant une remorque sur la ligne 86 dépasse une incontournable Trabant. L'état des voies dans les années 1980 était très inégal compte tenu des faibles moyens disponibles. © P.Veltohen

A partir de 1975, le BVB mit en service plusieurs extensions du réseau de tramways, suivant un urbanisme planifié, afin de desservir les nouveaux quartiers d’habitat collectif standardisé. En novembre 1977, le BVB recevait ses premières motrices Tatra KT4D articulées, plus confortables et surtout plus performantes. Détail cocasse, Tatra avait obtenu la licence PCC juste avant la Guerre Froide et ces tramways reposaient donc sur des bogies de conception américaine. En deux décennies, le réseau de tramways de Berlin Est progressait de 20 km.

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Berlin-Est- Mollstrasse - 20 octobre 1982 - Quoique relativement récentes, les KT4D paraissent déjà fatiguées en raison du manque d'investissements. Pas de feux tricolores mais un agent chargé de la circulation : devait-il descendre de son tabouret entre chaque séquence ? © M. Moerland

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Berlin-Est - Dimitroffstrasse - Avril 1987 - Croisement de deux générations de tramways d'après-guerre à Berlin-Est : à gauche, une motrice Reko tracte laborieusement deux remorques, formant une composition quasiment généralisée sur le réseau après-guerre ; à droite, une Tatra KT4D arborant la nouvelle livrée orange et crème. Comptez le nombre de Trabant sur cette photo... © M. Van den Toorn

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Berlin-Est - Dimitroffstrasse - 13 août 1990 - Le mur est tombé, le cliché est en couleurs mais le constat reste le même : les convois sont toujours aussi poussifs et dépassés par rapport aux autres réseaux ouest-allemands. (cliché X)

Suite du dossier : les tramways depuis la réunification

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