Le CFEL en Nord Isère
Depuis la réactivation du chemin de fer de l'Est de Lyon, concrétisée en 2006 avec la mise en service du tramway T3 et, trois ans plus tard, de la liaison Rhônexpress à destination de l'aéroport Saint Exupéry, la question de la desserte du Nord Isère jusqu'à Crémieu est fréquemment posée par les élus locaux et les associations d'usagers. En effet, l'emprise reste disponible et la circulation automobile est devenue de plus en plus difficile au travers des communes de l'est lyonnais gagnées depuis les années 1980 par la périurbanisation. Résultat, la D517 voit son trafic augmenter chaque année un peu plus, et les regards convergent vers l’utilisation de cette emprise ferroviaire.
Et pendant ce temps, la voie ferrée du Chemin de Fer de l’Est de Lyon reste à l’abandon…
Petite histoire du CFEL
A l’issue d’une confrontation avec le PLM pour un axe Lyon - Chambéry, la concession d’une ligne de chemin de fer d’intérêt local entre Lyon et Saint Genix sur Guiers fut accordée à M. Bachelier le 14 août 1877, rétrocédant ses droits à la Société belge des chemins de fer, créant la Société anonyme du Chemin de fer de l’Est de Lyon (CFEL).
La première section de 72 km entre Lyon et Saint Genix fut inaugurée le 23 octobre 1881. Plusieurs extensions étaient mises en service entre 1882 et 1899, reliant Soleymieu à Amblagnieu d’une part et Saint Hilaire de Brens à Jallieu d’autre part. Au total, 105 km de voies ferrées étaient construites dans le département de l’Isère. La tête de ligne, baptisée Gare de l’Est, était implantée à l’écart des voies du PLM, au droit de la route de Crémieu (actuelle avenue Félix Faure). L’ensemble du réseau était établi à voie unique et ne comprenait qu’un seul ouvrage majeur : un tunnel de 102 m à Crémieu, à l’entrée des gorges de la Fusa, où des rampes de 16 pour mille étaient rencontrées.
La gare de Pont de Chéruy - Tignieu dans les premières années du 20ème siècle, avec son bâtiment voyageurs en 3 corps, typique de la compagnie et sa halle aux marchandises bien occupée.
Le prolongement à Chambéry, envisagé en 1913 fut abandonné du fait de la guerre. Le trafic était d’abord agricole et ensuite industriel.
Horaire voyageurs du CFEL en 1914 : Meyzieu à 23 min de Lyon, comme aujourd'hui, mais avec 10 stations contre 2 à l'époque ! Crémieu était à 50 minutes et la voiture peine à faire mieux à l'heure de pointe en 2014 !
Le trafic voyageurs restait modeste et, pour la partie la plus proche de Lyon, se retrouvait en concurrence avec la ligne 16 des tramways de l’OTL. Néanmoins, le CFEL innovait avec l’implantation d’un des premiers blocks automatiques lumineux de France, basé sur le principe « un interstation = un canton », mais peu fiable, il fut remplacé par un équipement plus rustique à serrures Bouré. En 1935, le CFEL abandonnait le service voyageurs, mais la guerre devait entraîner son retour. Il était définitivement arrêté en 1947. Toutefois, dès 1942, la branche de Jallieu avait perdu tout trafic.
En 1950, la gare de l’Est ferma, la compagnie accédant au triage SNCF de la Part-Dieu. Les années 1950 furent celles de la contraction de la ligne, et le CFEL ne connut qu’un sursaut limité avec l’ouverture de la zone industrielle de Meyzieu en 1964. Treize ans plus tard, à l’issue de la concession initiale, le Département reprit la ligne et la confia à la Société Nouvelle de l’Est de Lyon. La concurrence routière entama le trafic de la ligne en Isère, d’autant que l’infrastructure était en état très moyen. En 1987, la ligne est fermée au-delà de Pusignan et l’exploitation confiée à la SNCF. L’exploitation cessa définitivement en 1999.
Si une exploitation par autorail SNCF fut envisagé dans les années 1980 entre Vaulx en Velin et Pont de Chéruy, moyennant un court prolongement du métro (finalement réalisé en 2007), l’hypothèse tourna court compte tenu des lourdeurs ferroviaires. A partir de 1990, la réutilisation du CFEL fut envisagé pour une liaison rapide avec l’aéroport lyonnais. Satorail échoua du fait du nombre important de passages à niveau en pleine agglomération. En 1994, le Département étudia un projet Tramel2000 basé sur l’exploitation d’un tramway à vitesse élevé.
En 2001, le Département et le SYTRAL signaient l’accord actant la renaissance du CFEL, soutenue par les associations de promotion des transports à Lyon depuis près de 30 ans. Le SYTRAL prenait en charge la création d’une ligne de tramway rapide entre la gare de la Part-Dieu (avec malheureusement une station à l’est de la gare, obligeant les voyageurs à traverser et encombrer le hall d’une gare saturé) et Meyzieu, sur 14,5 km et 10 stations. De son côté, le Département du Rhône, propriétaire de l’infrastructure, pilotait une concession portant sur la construction et l’exploitation de 8 km de ligne en direction de l’aéroport. Le tramway T3 était inauguré le 5 décembre 2006. Le service Rhônexpress Lyon – Aéroport était quant à lui ouvert au public en août 2010.
Meyzieu zone industrielle - 14 février 2011 - Deux matériels roulants (Tango de Stadler et Citadis d'Alstom), pour deux services assurés par deux entreprises sur la même infrastructure : Rhônexpress et le T3 des TCL. © transporturbain
Une voie ferrée qui mobilise, mais des obstacles administratifs
Depuis cette renaissance la question de la desserte du Nord Isère jusqu'à Crémieu est fréquemment posée par les élus locaux et les associations d'usagers. En effet, l'emprise reste disponible et la circulation automobile est devenue de plus en plus difficile au travers des communes de l'est lyonnais.
La poursuite de la réouverture du CFEL au moins jusqu’à Tignieu-Jameyzieu, voire jusqu’à Crémieu, mobilise les associations locales depuis des décennies, et surtout depuis le retour du tramway à Lyon.
La solution d’un terminus à Tignieu-Jameyzieu, desservant l’ensemble du canton de Pont de Chéruy, peuplé de 23 000 habitants, semble devoir être privilégiée : la gare de Crémieu a été vendue à un particulier et reste quoi qu’il en soit excentrée de la petite ville de 3400 habitants. Ce choix réduirait l’investissement à la partie la plus dense du territoire et allègerait besoins en matériel roulant et coûts d’exploitation.
Cependant, le sujet doit affronter quelques obstacles administratifs. L'emprise est propriété des départements du Rhône et de l'Isère sur leurs territoires respectifs : de Lyon à Pusignan pour l'un, de Pusignan à Crémieu pour l'autre. La compétence des transports en commun lyonnais s'arrête aux limites du périmètre des transports urbains gérés par le SYTRAL. Or les communes au-delà de Meyzieu n'en font pas partie. Bref, qui est compétent ? Le Département du Rhône ? Celui de l'Isère ? A priori plutôt les deux puisque la section hors PTU se situe à cheval sur les deux départements.
Le CFEL dans la traversée de Janneyrias, tel qu'il se présentait au début des années 2000 quand ont été réalisées ces photos : le bâtiment voyageurs est toujours debout mais muré, les bordures de quai apparaissent sous la végération et la voie attend toujours le passage d'un train. © transporturbain
Le CFEL dans la traversée de Charvieux Chavagneux : l'embranchement à gauche desservait autrefois une usine de pneumatiques. La cité ouvrière pourrait constituer le terrain d'une vaste opération de rénovation urbaine, autour d'une station. © transporturbain
L'ancienne gare de Pont de Chéruy, avec sa voie d'évitement. Là encore, sous la végétation de l'été 2003, l'emprise du CFEL reste plongée dans son sommeil alors que le trafic automobile ne cesse d'augmenter sur la départementale 517. © transporturbain
La gare de Crémieu a été de longue date vendue à un particulier. On aperçoit également le bâtiment de la halle aux marchandises. Le tramway s'en approchera-t-il un jour ? C'est ce qu'attendent de nombreuses associations. © transporturbain
La constitution en cours d'une métropole dotée de compétences uniformisées a débuté en 2013 : elle pourrait être le moyen de lever les obstacles administratifs et de placer sous une même responsabilité publique T3, Rhônexpress (moyennant une reprise de la concession) et une desserte du Nord-Isère, puisque ce territoire pourrait intégrer cette métropole, modifiant la carte administrative. Le Département du Rhône a déjà décidé de se retirer du périmètre du Grand Lyon, et la nouvelle métropole pourrait absorber les franges lyonnaises de l’Ain et, pour le présent cas, de l’Isère.
Stade des Lumières 1 - Nord Isère 0
Le CFEL est desservi aujourd’hui à raison de 8 services T3 (toutes les 7 min 30) et 4 Rhônexpress (toutes les 15 minutes) par heure. A l’approche du terminus Part-Dieu Villette, ces deux services sont en tronc commun avec le tramway T4, à raison de 10 services par heure. Au total, 22 tramways / heure / sens.
Si l’objectif était d’ajouter 4 services par heure pour le Nord Isère, l’exploitation du tronc commun deviendrait extrêmement tendue, avec un impact immédiat sur le fonctionnement de l’ensemble des lignes de transport en commun du secteur. Avec un intervalle moyen de 2 min 20 par sens, les carrefours ne seraient plus en capacité d’assurer la priorité aux tramways, et accentueraient le risque de les bloquer.
Or, la construction du stade des Lumières à Décines, avec un raccordement au T3, va augmenter le nombre de circulations sur la ligne à raison de 14 renforts, soit 26 tramways / heure / sens entre La Soie et Meyzieu. Dès lors, l’insertion d’une desserte pour le Nord Isère devient extrêmement délicate avec un passage de tramway, deux sens cumulés, toutes les 70 secondes en moyenne.
Il n’est pas vain de souligner le caractère insolite de la situation : le stade accapare pour 100 jours par an (nombre d’ouvertures envisagées par les promoteurs), la capacité de la ligne à répondre à des besoins quotidiens. En résumé, la satisfaction de « l’OL Land » est passé avant les besoins quotidiens de la population.
Des élus réservés... ou peu impliqués
Côté lyonnais, la priorité donnée à la desserte du stade conduit à un silence quant à la mise en œuvre d’une desserte du Nord-Isère. En attendant, il est aisé d’esquiver en expliquant que le sujet de la compétence reste en suspens.
Côté isérois, si la situation de la D517 est connue, les moyens de l’endiguer sont moins ambitieux : vu de Grenoble, le secteur intéresse peu, voire pas du tout, alors que la population nourrit bien plus de relations quotidiennes avec Lyon qu’avec Grenoble. Dès lors, les solutions à moindre coût type BHNS apparaissent acceptables pour les élus isérois. Face à cela, les associations qui font la promotion de la réactivation ferroviaire reçoivent peu d’appui : il en était de même dans les années 1970 et 1980 lorsque certains souhaitaient la conversion du CFEL en voie routière.
Quelle exploitation possible ?
Pour redonner de la capacité en ligne pour la desserte du Nord Isère, il faudrait envisager des travaux supplémentaires au-delà de ceux réalisés, ou en cours, pour la desserte du stade, prévoyant notamment l’ajout de positions de terminus à La Soie, en correspondance avec le métro A.
Il s’agirait d’allonger les stations à 65 m pour accueillir des couplages de tramways de 32 m, à l’instar du T2 parisien : ces ensembles atteignent 436 places. Les 10 rames de 43 m actuellement en service seraient alors mutées sur les autres lignes urbaines du réseau TCL. Dès lors, le nombre de renforts passerait de 12 à 8 par heure, ce qui redonnerait suffisamment de capacité au profit du Nord Isère.
Suresnes - 30 août 2009 - La ligne T2 des tramways parisiens, mise en service en 1997, emprunte une ancienne ligne ferroviaire entre Puteaux et Issy les Moulineaux. Devant le succès de la ligne, la RATP dut engager des convois doubles offrant 436 places : une mesure inévitable sur T3 et le CFEL ? © transporturbain
Ce matériel roulant présenterait une rupture avec les actuels Citadis à plancher bas intégral : compte tenu des caractéristiques de la ligne, avec des interstations longs autorisant des vitesses de 70 km/h de Lyon à Meyzieu, ce matériel atteint ses limites en comportement dynamique avec une propension à l’effet de lacet et une usure accélérée des bandages des roues de petit diamètre. A l’inverse, les Tango de Rhônexpress, taillés pour une vitesse de 100 km/h atteinte entre Meyzieu et l’aéroport, offrent un meilleur confort grâce à un comportement dynamique supérieur grâce aux « vrais » bogies, au prix d’un plancher relevé en extrémité de rame.
L’exploitation des services réguliers du T3 en convoi double nécessiterait 20 éléments, complétés de 20 éléments (10 rames doubles) pour la desserte du stade des Lumières.
Pour la desserte La Soie - Pont de Chéruy, le besoin pourrait se limiter à 12 éléments (6 rames simples), dimensionnement suffisant dans l’hypothèse d'une vitesse de 100 km/h, hormis dans les zones urbaines où elle serait limitée à 70 km/h, avec 5 à 6 stations nouvelles : Pusignan, Janneyrias, Charvieux-Chavagnieux, Pont de Chéruy et Tignieu-Jameyzieu, à laquelle s’ajouterait une possibilité à Charvieux-Pirarday, où pourrait être établi un parc-relais. La ligne serait établie à voie unique entre Meyzieu Zone industrielle et Tignieu, avec la réalisation de points de croisement établis en fonction du schéma d’exploitation afin de limiter l’investissement à environ 120 M€ pour les 14 km à reconstruire.
En plaçant le Nord-Isère à environ 25 minutes du métro lyonnais, les conditions de transport des habitants de ce territoire devraient être substantiellement améliorées et le transit routier de la D517 diminué. Un trafic de l’ordre de 3000 à 4000 voyageurs par jour ne semble pas déraisonnable.
L'intégration de la section Meyzieu - Pont de Chéruy, voire jusqu'à Crémieu, pourrait pleinement intégrer la proposition de transporturbain du projet Est-Ouest Lyonnais Express.