Un tramway de plus, un machin sur pneus en moins
Evidemment, l’inauguration du tramway de Caen ce samedi 27 juillet avait pour nous – et nombre d’amateurs – une saveur particulière. Pour les contribuables caennais aussi.
Hérouville - Place Saint Clair - 27 juillet 2019 - Il reste encore quelques vestiges aux terminus, aux Ifs et à Hérouville... Une période désormais révolue. © transporturbain
Caen - Rue du Gaillon - 27 juillet 2019 - Autre satisfaction : une fois de plus, la théorie - imaginaire - selon laquelle un tramway ne pourrait franchir les fortes rampes est vaincue. Evidemment, cela attire quelques amateurs ! © transporturbain
Les amateurs savouraient leur revanche sur le TVR : c’est un peu comme dans la chanson de Patrick Bruel, Place des grands hommes : « On s’était dit rendez-vous dans 10 ans… ». Effectivement, certains avaient prédit dès sa mise en service que le TVR serait rapidement remplacé par un vrai tramway. C’est chose faite.
Les contribuables peuvent avoir un goût amer en bouche : si un vrai tramway avait été construit au début des années 2000, le budget investi dans la reconstruction aurait pu être mis à profit d’une nouvelle ligne est-ouest. Le manque de clairvoyance et d’écoute des spécialistes de la part des élus finit toujours par se payer, fut-ce au prix fort : 260 M€, principalement financés par la Communauté Urbaine (qui a recouru à un emprunt de 120 M€ auprès de la Banque Européenne d'Investissement), le Département du Calvados (45 M€), l'Etat (27 M€) et la Région Normandie (15 M€).
Caen - Place Saint Pierre - 27 juillet 2019 - Arrivée de la rame inaugurale du tramway de Caen pendant les discours officiels. L'église Saint Pierre a été également restaurée. Les aménagements urbains ne sont pas totalement terminés mais l'ensemble est plutôt réussi. © transporturbain
La page du TVR est donc définitivement tournée, même s’il reste encore – et pour peu de temps espérons-le – subsistent encore quelques vestiges aux anciens terminus.
Caen montre ainsi le chemin à Nancy, qui est en train d'étudier, dans un contexte étrangement sensible, le remplacement du TVR par un tramway... mais on ne peut pas passer sous silence les 3 lignes de Translohr de Clermont-Ferrand et d'Ile de France, dont le système est un peu plus fiable mais dont la pérennité n'est pas non plus garantie à moyen terme.
Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation…
La mise en exploitation du nouveau tramway a été des plus chaotiques. De mémoire d’amateurs qui les ont toutes faites depuis 1985 en France, on n’avait jamais vu une telle pagaille et une telle impréparation. Les élus normands, au cours des discours de fin de matinée, n’y ont probablement vu que du feu. Mais pour les autres, cette inauguration a immédiatement révélé une impréparation et une précipitation complète. L’agglomération se félicite certes d’avoir transformé les 16 km en 19 mois. Mais tout n’est pas au point : loin de là... et même le voyageur lambda s'en est rendu compte !
Caen - Presqu'île - 27 juillet 2019 - Au chapitre des nouveautés du tramway, la création de la branche desservant le centre commercial des Rives de l'Orne et la presqu'île, près du port, qui devrait être l'un des prochains grands projets d'aménagement de l'agglomération. Peut-être aussi l'amorce d'une liaison est-ouest qui reste à constituer. © transporturbain
La vitesse moyenne des tramways n’a pas excédé les 5 km/h car les incidents d’exploitation ont été excessivement nombreux. La priorité aux carrefours est tout simplement inexistante, ce qui n’est déjà pas acceptable compte tenu de l’image déplorable donnée aux usagers et riverains (« le tramway n’avance pas : on va plus vite à pied »). C’est d’autant plus problématique que le nombre d’intersections est très élevé et que les activistes du carrefour à feu systématique ont encore frappé. L'exploitation est aussi émaillée de multiples ralentissements : quand les passages piétons ne sont pas protégés par un feu, la vitesse est obligatoirement limitée à 30 km/h.
Qui plus est, la régulation était tout simplement absente et il faut déplorer que les conducteurs aient été quasi-systématiquement muets, n’informant jamais les voyageurs de la situation. Il faut probablement mettre cela sur le compte de la pudeur ou d’une forme de honte face aux piètres prestations offertes.
Ajoutons que la conception du réseau réserve aussi de désagréables surprises. Les stations ont été établies au plus juste pour des Citadis 305, avec des quais de 32 m pour des rames de 33 m. Dans l’hypothèse d’allongement des rames du fait de la fréquentation, il faudra reprendre la totalité des stations. De toute façon, une exploitation avec des rames de 43 m semble improbable étant donné que la distance entre deux signaux peut être inférieure à 40 m.
Qui a conçu des terminus aussi mal aménagés ?
L’autre mauvaise surprise trahit une réelle erreur de conception de l’infrastructure : les terminus de périphérie ont été conçus avec une seule voie et un seul quai. Conséquence de l’exploitation calamiteuse, nous avons assisté à la formation de trains de tramways au terminus en attendant que la voie soit libérée. La régulation aurait pu – dû – s’en apercevoir mais il n’en fut rien et de nombreux voyageurs ont subi des attentes de 30 à 45 minutes avant de pouvoir descendre du tramway. Et là encore, les conducteurs étaient muets. Seul le terminus de la presqu’île et du Château sont correctement configurés avec 2 voies et une croisée en avant-gare pour le premier et une voie centrale pour le second.
Caen - Avenue de la Côte de Nacre - 27 juillet 2019 - Mais qui a eu l'idée de concevoir ainsi les terminus. Sur la première photo, la configuration de la station à voie et quai uniques et sur la seconde, les conséquences de cet aménagement, aggravées par l'absence de régulation du trafic : une rame à quai et deux qui patientent en amont. Vite, un quai provisoire sur la voie d'arrivée ! © transporturbain
Autre remarque, l’espacement moyen des 37 stations du nouveau réseau de 16,2 km est de 437 m, car même dans les quartiers périphériques moins denses, les arrêts restent nombreux , ce qui impacte de fait aussi la vitesse commerciale.
Citadis 305 : mieux… mais pas plus à l’aise en courbe
Au reste, les 23 Citadis 305 à la terne livrée extérieure (cette mode du noir...) mais à l’ambiance intérieure agréable – et avec une double porte aux extrémités – sont relativement agréables pour ce qu’on a pu en essayer (nous n'avons circulé à plus de 30 km/h que pendant à peine une dizaine de secondes sur la journée). Les rames sont toujours équipées du bogie Arpège, peu à l'aise en courbe, mais bénéficient d'une nouvelle chaine de traction en partie reprise du tram-train Dualis, un peu plus silencieuse .
Ces rames sont entretenues dans un nouveau dépôt à Fleury, accessible au moyen d'une courte extension depuis l'ancien terminus du TVR de la Grâce de Dieu jusqu'au collège Hawking.
Il n’en reste pas moins que l’aménagement intérieur du Citadis reste, notamment au droit des bogies, meilleur que sur les Flexity de Bombardier, les Urbos de CAF et les Combino de Siemens. En revanche, l’agrandissement des baies vitrées sur les caisses nacelles est inutile car le gain de surface est obstrué par les miséricordes et les sièges placés dos à la fenêtre.
Il va falloir rectifier le tir rapidement !
Finalement, l’élément positif de cette inauguration, outre le principe même d’avoir éliminé l’un des « tramways sur pneus » français, c’est la météo, bien plus clémente qu’annoncée comme vous le constatez sur les clichés illustrant cet article.
Pour le reste, Keolis et la Communauté Urbaine Caen la mer ont du pain sur la planche : cette inauguration précipitée n’est pas une réussite car elle a donné du tramway une image de lenteur et de faiblesse technique. C'est la première fois que la phase de marche à blanc s'effectue en service commercial. Il aurait assurément mieux valu reporter l'inauguration officielle d'un mois, pour proposer aux caennais un service efficace : dans la situation actuelle, on en est très loin !
La Communauté Urbaine devra gérer dans les plus brefs délais la reprise complète du fonctionnement de la priorité aux carrefours. Elle devra aussi reprendre les terminus pour installer, dans un premier temps, un quai provisoire de descente des voyageurs en amont des stations existantes à voie unique pour éviter les surstationnements incongrus.
De son côté, Keolis devra poursuivre la formation de ses conducteurs et de ses régulateurs qui ne sont manifestement pas au point. Si la conduite d’un Citadis est évidemment différente de celle d’un TVR, les principes de régulation sont pourtant identiques à ceux qui ont prévalu pendant 15 ans avec l’ancien matériel : la priorité aux carrefours fonctionnait d’ailleurs très correctement.
Les trois lignes débutent leur service en plein été avec une cadence - théorique, on l'a vu - aux 10 minutes en semaine, au quart d'heure le samedi et à la demi-heure le dimanche. La rentrée de septembre sera déterminante Si le tramway ne fonctionne pas correctement à cette échéance, elle promet d’être passablement animée.
Caen - Avenue du 6 juin 1944 - 27 juillet 2019 - Le remplacement du TVR par le tramway a aussi permis de végétaliser assez largement le site propre, ce qui était impossible avec le véhicule sur pneus. Evidemment, la sécheresse actuelle ne permet pas d'en donner le plein effet. A noter aussi l'amorce d'une future branche vers l'ouest de l'agglomération. Si tout n'est pas au point sur le nouveau réseau, au moins l'agglomération a-t-elle judicieusement anticipé une future extension du réseau. © transporturbain
Notre dossier sur le tramway de Caen sera mis à jour dans quelques temps, après un second passage pour vérifier que l'exploitation soit devenue normale...